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  Association des bibliothèques du Sicoval

Le Lecteur du Val - 27, route de Saint-Léon - 31450 NOUEILLES - Tél. 05.61.81.14.00
Nouvelles à lire : concours 2022


"Ça alors ! En déchargeant le camion de déménagement, ils découvrent un carton supplémentaire."
ou encore :
"Son a mudar, e en descargant lo camion, aquí que te tròban un carton de mai."


Lire :
- Lupin (texte adulte)
- Lo filh (texte occitan)

- Monsieur Crt (texte Jeune)


Lupin
 

Ça alors, en déchargeant le camion de déménagement, ils découvrent un carton supplémentaire. Un carton d’emballage coloré qui se différencie bien de ceux de nos déménageurs qui arborent tous un magnifique chapeau breton et son long ruban de satin qui flotte à l’arrière. Tout le monde, interloqué, se regarde. Les déménageurs se regardent tour à tour, papa regarde maman, ma sœur me regarde et moi, voulant fuir le regard de tous, je regarde le carton. C’est maman qui rompt le silence. Elle brandit le cutter qu’elle tient à la main :
— Je ne sais pas ce que c’est, ce carton ! Y a qu’à l’ouvrir pour voir c’qu’y a d’dans.
Celui qui me semble le chef des ouvriers l’arrête aussitôt.
— C’est peut-être pas si simple que ça. Premièrement, on nous a dit, surtout depuis le Plan Vigipirate, de ne jamais ouvrir un colis suspect, et puis deuxio…
Il regarde bien maman dans les yeux avant de lui lancer :
—  Est-ce vous qui l’avez mis dans le camion ? Non ! Est-ce nous ? Non ! Alors, pourquoi ce carton serait à vous ?
Papa vient au secours de maman, c’est toujours comme cela à la maison.
— En tout cas, il est chez moi, il fait partie du déménagement, alors je ne vois pas pourquoi on n’en ferait pas ce que l’on veut. A moins que vous n’ayez envie de vous le garder pour vous !
Le chef ne relève pas cette remarque désobligeante et reprend avec beaucoup de calme :
— Donc, en résumé : c’est pas vous qui l’avez mis dans le camion, c’est pas nous, et notre véhicule reste toujours fermé à clé pendant tout le trajet.

Un employé croit bon d’ajouter :

— Attendez chef. Je me rappelle que, quand on s’est arrêtés pour manger sur l’aire de l’Aveyron, je suis allé vérifier, comme on le fait à chaque fois, si rien n’avait bougé à l’intérieur du camion. Eh ben, le gros buffet avait légèrement glissé et je suis parti chercher Robert pour qu’il m’aide à le recaler. Mais comme Robert était aux toilettes, ça a pris un petit peu de temps. On a dû rester ouvert cinq minutes.

— Je ne vois pas pourquoi quelqu’un nous aurait fait ce cadeau, fait remarquer papa.

Pour faire mon intéressant et surtout pour faire peur à ma petite sœur, j’ajoute :

— Ou alors, ce sont des trafiquants de drogues qui se sont aperçus que la police de la douane les avait repérés. Alors il fallait qu’ils se débarrassent de la marchandise au plus vite. Ils ont choisi votre camion parce qu’il est très reconnaissable. A mon avis, ils ne vont pas tarder à revenir, lourdement armés, pour récupérer leur bien. D’ailleurs, je crois qu’une voiture vient de s’arrêter devant la maison.

J’ai gagné, tout le monde va à la fenêtre et ma sœur se jette au cou de papa.

Pour maintenir mon avantage, car il n’y a sûrement pas de voiture, je m’écrie :

— Revenez vite, regardez, je crois que le carton a bougé.

Papa me foudroie du regard.

— Ne l’écoutez pas, faut toujours qu’il imagine des histoires rocambolesques. Dans deux minutes, il va nous dire qu’il entend un tic-tac, tic-tac, tic-tac.

Personne n’avait encore songé à une bombe. Le chef fait signe à tout le monde de faire silence et… à nouveau, le carton bouge.

 Je me contente d’ajouter, en regardant discrètement ma sœur : 

— Attention, il y a peut-être une bête, un nid de serpents ou une énorme araignée géante.

Ma sœur serre encore plus fort le cou de papa. Elle a mis sa main devant ses yeux. Je crois que j’ai pleinement réussi.

— Bon, les gars, faut faire quelque chose. Si on est tous d’accord, on l’ouvre.

Maman tend son cutter, mais le chef préfère le sien, accroché à la poche de sa salopette. Un coup sec pour sectionner le scotch et c’est avec beaucoup plus de délicatesse qu’il entrouvre le paquet suspect et le referme. Je ne sais pas s’il a eu le temps de regarder, mais le voilà qui se relève, et adresse un sourire narquois à tous les regards interrogateurs. Les deux mains aux hanches, il donne un léger coup de pied au carton et, aussitôt, on voit apparaître deux oreilles et une patte qui se pose sur le rebord.

C’est ma sœur qui rompt le silence en criant « Lupin » ! Elle l’attrape par les pattes de devant et le serre contre son cœur. «

— Lupin, mon Lupin adoré ! C’est bien lui, il a la tache blanche sous le menton.

 

Lupin, quel nom imbécile pour un chat ! C’est ma sœur qui l’a choisi. Et ne croyez pas que ce soit en rapport avec Arsène. Pourtant, de nombreux rapprochements étaient possibles, mais cela m’apparaît beaucoup trop subtil pour son esprit. Elle aurait pu penser à un chat voleur. Un chat qui mène deux vies bien différentes, une la nuit et l’autre le jour. Un chat aristocrate, prudent, observateur, curieux… Et surtout un chat élégant, qui apporte beaucoup de soin à sa toilette… Non, elle a choisi Lupin à cause de la fleur qu’elle trouve très belle. Au début, je l’ai appelé Lulu. Cela ne plaisait pas et elle piquait des crises. Comme d’habitude, j’ai presque cédé, je me contente à présent de lancer des « Tulipe » ! des « Dalhia » ! des « Marguerite » ! ou des « Lafleur », viens ici ! Et cela suffit pour que ma sœur me courre après.

Maman laisse paraître tout son désarroi.

— Je ne comprends pas. On croyait tous qu’il était mort. Il a disparu au moins huit jours avant le déménagement. Ah ben ça alors !

— Tu ne comprends pas ! Tu ne vois pas qui a pu enfermer notre chat dans un carton où il aurait pu mourir étouffé. Tu ne vois vraiment pas. Eh bien, notre rigolo de voisin. Je suis sûr que c’est un coup de Robert. J’ai toujours dit qu’il faisait n’importe quoi.

Ça, c’est pas vrai ! Robert, il est super. Je suis bien content que, en reprenant le travail, le chef fasse remarquer à papa que Robert a rendu le chat vivant et qu’il y a de minuscules trous d’aération pour que notre animal respire.

 

Ça fait une semaine que le déménagement a eu lieu et que l’on a abandonné la campagne bourbonnaise. D’après maman, dans le Sud, on devait être beaucoup mieux.

— Vous aurez plus chaud, ce sera plus grand, avec des pièces plus lumineuses, il y aura du soleil presque toute l'année. 

Pour le moment, je trouve surtout qu’il y a beaucoup plus de vent. Ma petite sœur est ravie, elle a bien, comme promis, une chambre pour elle toute seule. Donc moi, sur ce coup, je gagne un peu de tranquillité et je peux, le soir, éteindre quand je veux. Maman a une cuisine intégrée rutilante avec beaucoup plus de placards, mais ils sont déjà tous pleins. Elle avait beaucoup répété que, quand elle serait bien à l’aise, elle pourrait nous préparer beaucoup plus facilement plein de très bons petits plats. Pour le moment, elle n’a pas dû encore avoir le temps. Ce n’est pas grave, j’adore les frites au micro ondes cuites en quatre minutes chrono. Papa, lui, je crois qu’il n’a rien gagné. Quand on parlait du déménagement et qu’il montrait un peu d’enthousiasme, je sentais bien que c’était pour faire plaisir à maman. Quand il souriait, c’était un sourire triste. Ce n'est pas tant qu'il se sentait bien dans l’ancienne maison ; il rouspétait souvent que le garage était trop petit et le jardin beaucoup trop grand. Mais c'était la maison construite par son grand-père. Je connais l'histoire par cœur, il me l'a racontée cent fois pour être sûr que je m’en imprègne bien. Je ne lui ai jamais dit qu'il radotait. Je vous passe les détails, mais en gros, le grand-père, le matin très tôt, avant d'aller au travail, il faisait le jardin. Et en revenant le soir, jusqu’à la nuit, il faisait le jardin. Et le vendredi, la grand-mère allait vendre les légumes au marché. C'est avec cet argent qu'ils vivaient et donc il plaçait la paie à la Caisse d'épargne. Vous comprenez mieux que pour lui, partir, c'était un peu trahir. Donc, en résumé, maman est aux anges, ma sœur jubile, papa fait semblant d'être heureux et moi, je ne sais pas. Le chat non plus ne sait pas. Tout le monde le caresse plus que jamais. Ma sœur fait la comédie pour qu’on lui achète les meilleures croquettes du marché, mais il ne semble pas en faire cas. Il a même recommencé de faire pipi un peu partout. Maman pense qu’il a besoin de s’approprier son nouveau domaine, de délimiter son territoire. Mais moi, je sais ce qui lui manque, c’est Robert.

 

Robert, le grand-père que je n’ai pas eu, il nous manque à tous les deux. Sa maison était voisine de la nôtre et un petit portillon permettait à nos jardins de communiquer. Il cultivait le sien et le nôtre parce que papa n’avait pas le temps de tout faire. C’était là leur grand sujet de discorde. Robert ne faisait pas exactement comme le papa de papa. C’était un grand crime et je crois que ce qui faisait le plus rager papa, c’est que Robert obtenait quand même de magnifiques légumes. Il possédait aussi un grand hangar où il bricolait sans cesse. J’y étais dès que j’avais un moment de libre, et notre chat aussi. Robert l’appelait "Petite fleur", car il trouvait, comme moi, « Lupin » sans intérêt. Petite fleur, c’était un morceau de jazz d’un trompettiste américain du temps de sa jeunesse. Un gros succès, à l’époque. Chez Robert, Petite fleur avait sa gamelle avec toujours quelques bribes de repas (Robert disait : des rogatons, mais je ne sais pas si c’est français). Notre chat se régalait bien plus qu’avec nos croquettes et surtout, après, il partait chasser dans le foin et dans la luzerne qui s’entassaient au fond du hangar. Moi aussi, j’y avais un petit chez moi, toute l’étagère du bas du grand placard. Mes outils et mes jouets s’y entassaient. Tout ce que j’avais réussi à faire bifurquer avant de prendre la direction de la déchetterie se trouvait là. Mes petites voitures, celles qui roulaient mal, les écaillées, celles qui avaient perdu leur capot. A toutes, Robert avait redonné un coup de neuf. Un vrai magicien ! Mes albums Panini des années passées, que j’avais eu tant de mal à terminer, côtoyaient mes puzzles auxquels il manquait une ou deux pièces. Et surtout, il y avait mon doudou, récupéré dans le sac noir d’extrême justesse. C’est là que je jouais le mieux.

Je le regardais rempailler les chaises ou faire des paniers en osier. Il m’avait aidé pour que je fasse ma première corbeille. C’est vrai qu’elle n’était pas très ronde, alors elle a dû rester là-bas. On me répétait sans cesse :

— Dans le camion de déménagement, on ne pourra pas tout emporter, il faut que chacun fasse son tri. Je me suis fait avoir, il y avait encore de la place pour ma corbeille quand le camion est parti.

 

Aujourd’hui, grand malheur, de nouveau, Lupin a disparu. La famille est au désespoir. Les hypothèses fusent. On nous l’a volé, il s’est perdu, il s’est fait écraser. On aurait dû aller le promener plus souvent, regrette ma sœur, pour lui faire mieux connaître les environs.

— Il faudrait imprimer une affichette pour mettre à la boulangerie, propose maman.

Mais elle n’est pas certaine de pouvoir trouver une photo correcte. J’essaie d’être plus positif en ajoutant que maintenant on n’aura plus de pipi dans les coins, ni de poils sur le canapé, mais c’est un fiasco complet. Il parait que je n’ai pas de cœur. Je ne dis pas ce que je pense, car je suis sûr que, comme moi, il s’ennuyait dans cette maison sans âme. Il gratouillait parfois à la porte de ma chambre en miaulant pour que je le laisse rentrer mais, quelques minutes plus tard, il recommençait son manège pour ressortir. Il n’était bien nulle part ici, alors il est sûrement simplement parti voir ailleurs.

  

Moi, il faut que je reste. Il me manque tout ce qu’on ne peut jamais mettre dans un camion de déménagement : les copains du foot et du judo, les courses en VTT sur les bords de l’Allier, mes trois copines (je n'ai jamais pu choisir). Tu te feras d’autres amis, me dit-on, mais cela n’en prend pas la route. Je suis surpris, ma sœur ne veut pas que l’on achète un autre chat.

 

Deux mois plus tard, on reçoit une lettre de Robert. Il avait promis à papa de lui faire parvenir de vieilles photos des temps anciens. Des photos où il était avec le grand-père. Papa est fier de celle où on voit grand-père avec un melon sur la tête et une énorme salade à la main. Papa nous fait la lecture de la lettre à voix haute. Robert va bien. Il dit que les prises de bec avec papa lui manquent. Papa marmonne et ne veut pas dire qu’à lui aussi, Robert lui manque. Et puis il y a cette dernière phrase : « Tu diras au petit que j’ai mis du foin dans sa corbeille et que la petite fleur y est bien. »

— Tu comprends ce que c’est, cette fleur dans ta corbeille ?

Je tremble, je rassemble mes forces pour dire que je ne comprends pas.  Là, ce serait trop, je ne veux pas faire de la peine à ma sœur. Je me sauve, je ne veux pas que l’on voit les larmes qui me viennent aux yeux. Je suis content pour Lupin.

 
Texte de Marc Breton, de Yzeure (03), 2022
 


  Lo filh

Dimècres 10 de julhet de...

10 oras 16

 Son a mudar, e en descargant lo camion, aquí que te tròban un carton de mai. Cossí o sabi ? Perque los ausissi plan dempuèi ma fenèstra charrar per saber çò que ne devon far. Son de joves, tres, benlèu de collocataris, o d’amics, o autra causa, sabèm pas jamai al jorn de uèi amb totas aquelas istòrias de «troble» e tot aquò. Son arribats aqueste matin per s’installar dins l’ostal de la paura Margarida qu’es mòrta de lanha al despart de son galant. Cal dire, quina idèa de se préner un òme a setanta ans passats, un òme maridat mai que mai !

Rai ! Tornam a las nòstras rasons ! Los tres joves venon de sortir lo carton en question. A pas res de particular mas vòl pas res dire. I a pas a tortilhar, mon novèl punt de vista es perfièit ! Ai tot : l’ausida e l’imatge ! Pas coma amb lo de la cosina.

Rai. Capitan pas de s’acordar sus çò que devon far, la discutida es ondosa. Las doas joventas lo vòlon dintrar e lo tipe prepausa de l’escampar sulpic ! Mèrda, i a lo telefonet que tinda, vau tot mancar ! Respondi o respondi pas ? Benlèu qu’es lo filh...

 

17 oras 02

 Èra pas lo filh, èra encara un apèl per me far crompar un quicòm que me servirà pas jamai a res. Rai. Aviái rason, ai tot mancat ! Quand soi tornada, èran dintrats dins l’ostal. Çò qu’es segur, es que lo carton es pas dins la carrièra nimai al bordilhièr (soi anada verificar tot ara). D’aquí que me trapi, pòdi lo veire pausat sus la taula de lor cosina. Me demandi se l’an dubèrt. Me sembla pas.

Èra plan la pauseta de la tantossada. Coma capitavi pas a dormir, ai agachat una emission fòrça interessanta : la tòca es d’embarrar de joves mai o mens bèls, de nenetas e de tipes amb un Q.I. inferior a la mejana, de lor balhar de musica e d’alcoòl e de veire çò que se pòt passar. Un estudi sociologic qué ! Bon, forçadament, i a pas de vertadièr suspens, tot aquò s’acaba amb de mond que  se mandan en l’air e de brams e de lagremas, mas èra distrasent.

Pensi que bolegarà pas pus en fàcia uèi. Vau demandar a la vesina s’es disponibla per beure un còp d’aperitiu, amb moderacion plan segur...

 

Dijòus 11 de julhet de... 

3 oras 03

 Fasiá tròp caud ièr de ser alara ai daissat fenèstra e contravents dubèrts dins lo salon. E òc, lo salon perque dormissi enbàs dempuèi que me soi petada la camba. Es lo filh qu’a decidit. Un brave sadol, te juri ! Coma s’èri pas pus capabla de prendre mas pròprias decisions ! I a de còps qu’oblida que soi ieu que li cambièri las borrassetas !       

Rai. Çò que m’a desrevelhada es que i a de rambalh en çò dels joves. Son dins lo jardin a cavar un trauc. Lo carton es pausat dins l’èrba. Ò macarèl, lo van enterrar ! Es un vertadièr desastre per ieu ! Cossí vau saber çò qué i a dedins ? Cal que trapa una idèa lèu lèu...

 

11 oras 15

Me soi levada tard, la nuèit es estada agitada. Coma èra fòra de question de los daissar enterrar mon carton, m’a calgut far diversion. Me soi mesa a cridar « Ajudatz-me ! Ajudatz-me ! » puèi me soi colcada pel sol amb ma camba foleta, per far coma s’èri tombada del lièit. La bona galejada ! Los tres joves son arribats, las mans plenas de tèrra, espelofits, lo buf cort. Auriatz vist la lor cara ! An agut besonh de s’i metre totes tres per me levar. Un ase mòrt vertadièr. Èran inquiets, m’an fait pena... e rire interiorament.

Rai. Quand son partits, los escobilhaires començavan lor trabalh, èra pas pus possible pel trio de contunhar la lor malafacha nueitenca. Una victòria per ieu ! M’o caldrà contar al filh.

 

Divendres 12 de julhet de...

17 oras 48

Aqueste matin, Milà es passada per prendre de mas nòvas. Milà, Lavanda e Nicolau, son lors pichons noms. Milà es una bruneta fòrça simpatica que ponctua sas frasas de « bordèl de mèrda » plan sentits. Me fa rire, la pichòta. N’ai profièitat per li pausar qualques questions sus la lor vida a tres, l’installacion :

— Èran pas tròp pesucs, totes aqueles cartons ?

— Non, non. E puèi aviam pas grand causa de mudar.

Conversacion banala. Se compreni plan, an agut l’ostal a un bon prètz vist que la Margarida i es mòrta dedins. La paura Margarida...

Rai. Los ai convidats totes tres a un aperitiu aqueste ser, seràn aicí dins qualques minutas. Es l’ora de passar mon costume de pichòta vièlha inofensiva per menar l’enquèsta...

 

Dissabte 13 de julhet de...

6 oras petantas

L’aperitiu en çò meu s’es acabat en barbacoa en çò dels joves. Una serada d’estiu suava e risolièra coma del temps que lo filh èra encara a l’ostal. Milà e Lavanda son sòrres e Nicolau es en coble amb Lavanda. Se son coneguts a l’Universitat e son ensenhaires totes tres. An parlat de lor trabalh e de la lor vida fòra la classa. Ai evocat los vesins e lo filh. Al moment del dessèrt, ai pretextat un besonh urgent de cambiar de Tena (e òc, mon perinèu es pas pus çò qu’èra) per me trapar soleta a l’autre cap de l’ostal. Sabiái plan qu’aquò los metriá pro mal d’aise per aver la patz.

Rai ! Decepcion ! Pas cap de carton. Me demandi plan çò qu’es vengut. Mas la serada èra bona. Fa plaser. Lo filh me manca fòrça...

 

Dimenge 14 de julhet de ...

15 oras 22

Pas possible de far una prangièra ! I a l’autre agrolit d’a costat que tòrna jogar amb sa talhaprat ! Soi sortida per li dire que sèm pas a Wisteria Lane mas cresi qu’a pas comprés la referéncia. Qu’un con !

Rai. A quicòm, lo Diable pòrta pèire : al moment de dintrar, ai vist lo Nicolau sortir amb lo carton e l’entrepausar dins lo garatge. Me demòra pas qu’a trapar una idèa per i poder dintrar. M'agradariá d’aver un kit de raubaire, coma dins los filmes. Me vau curar lo cervèl d'aicí deman...

 

Dimècres 17 de julhet de ...

8 oras 36

Soi tornada après dos jorns de malautiá. Sabi pas tròp çò que m’es arribat. Milà ditz qu’ai agut fòrça fèbre e qu’ai delirat. Tot çò que me remembri es d’aver dubèrt lo carton. Èri davant lo garatge e la pòrta se levava coma per magia. Aicí dedins, lo carton e pas qu’aquel. M’aprochavi dins un ralentit digne de Matrix filmat en contrapresa. Puèi dubrissiái lo carton. Nívol de fum. Al fons de la boita tan cobejada, una fòto. Una fòto del filh. Encara nívol de fum. Revelh. Èra pas qu’un sòmi. Soi dins un estat estranh. Lo contarai al filh quand telefonarà. Benlèu que i a una significacion a tot aquel deliri...

 

Divendres 19 de julhet de ...

11 oras e mièg

 Me sentissi melhor uèi. L'assistenta de vida ven de partir. Me cofla aquela... Es plena de bons sentiments mas me dona l’impression d’èsser una vièlha causa bona a pas res. E puèi, vòli pas dire de mal mas a pas inventat l’aiga sucrada, la neneta ! Passa son temps a dire d’absurditats pel sol plaser de parlar, es amalugant.

Rai. Amb tot aquò, ai pas agut lo léser de soscar a una solucion per me sarrar del carton. Lo punt positiu es que soi venguda fòrça pròcha del triò d’en fàcia. Se mainan plan de ieu, son adorables, vertadièrament. Es lo primièr còp dempuèi que lo filh es partit que me sentissi un pauc viventa, un pauc aimada, un pauc reala. Venon a l’ostal cada jorn, siá un, siá l’autre, de còp totes tres per charrar, far una partida «d’escrabòl» (sabi pas jamai cossí o dire aquel mot estranh), comentar las redifusions de Las enquèstas impossiblas de Pierre Bellemare... Es totjorn un buf de vida dins lo salon o la cosina. Arriban coma de tornadas, parlan fòrt, s’escacalassan de tot e de res. Aquò me sufís per aver enveja de me levar lo matin, me dona una tòca dins mas jornadas vengudas tan longassas. Fin finala, benlèu que soi una vièlha causa, parli coma tala...

 

Dissabte 20 de julhet de ...

20 oras 44

Veni d’aver una idèa maquiavelica ! Ai passat ma jornada a gaitar dempuèi mon punt de vista e soi segura d’una causa : lo carton a pas bolegat del garatge. Lo Nicolau a passat la jornada a i trabalhar, portal dubèrt en grand e mon car carton es totjorn aicí, dins lo fons, coma amagat dins l’ombra... Òc, sabi plan que dit coma aquò pareis un pauc dramatic, mas pensi que i a dedins un mistèri grand e cal dire qu’a mon atge, es pas cada jorn qu’avèm l’escasença de menar una enquèsta. Me sentissi un pauc coma Miss Marpòl, levat que tricòti pas. Lo filh dit qu’ai de mèrda dins los dets, tot aquò perque un jorn, per Nadal, me soi mesa dins lo cap de li far un tricòt que fin finala semblava mai a un vièlh preservatiu qu’a un pulòver d’en çò del crocodil...

Rai, m’alunhi del subjècte qu’es : ai agut una idèa maquiavelica ! Donc, coma la tòca es de me sarrar lo mai possible del objècte del delicte, pensi simular un problèma gròs de plombariá o autre que me permetriá de m’installar d’un biais temporari en çò dels tres pichons vesins...

 

21 oras 12

Òi ! I soi annada un pauc fòrt... Ara, tot lo planpè es banhat... Lavanda, Milà e Nicolau son arribats tre que lor ai telefonat. Nicolau m’a dit qu’èra una canalizacion dejós l’aiguièr qu’aviá petat... Aviái pas besonh que m’o diguèsse puèi que soi ieu que l’ai fait... Ai pres un aire contrit : èra pas complicat, me fasiái repròchi de pas aver sauput dosar ma fòrça. Lo vam del desesper benlèu... Quina volada lirica ! Me vaquí doncas installada dins la cambra d’amic de mos tres joves. Cresi que vau començar per dormir perque tot aquò m’a acabada, soi al cap del camin...

 

Diluns 21 de julhet de ...

18 oras 01

Quina jornada estranha ! I a pas res qu’auriá pogut me preparar a tan de borroladís ! Pr’aquò, ma jornada a començat normalament : dejunar amb Milà dins la cosina, passatge dins la sala d’aiga per me far presentabla, recepcion del plombièr per evocar l’espandida del degalhs... Tot anava plan fins al repais de miègjorn quand Lavanda a anonciat qu’ « Es bon, lo còlis es mandat ! ». Pensi que me soi descompausada ! Èra pas possible que parlèsse de mon carton, seriá un drama ! Ai demandat, l’aire de res :

— Sètz anada a la pòsta ?

— E òc. Quand avèm mudat, avèm trobat dins lo camion lo carton d’un amic fòrça important que nos a demandat de li tornar tre que possible. Aviái pas encara agut lo temps mas es causa faita ara.

Ai agut tot d’un còp de dolors dins la peitrina, me semblava far un infarctus. Mon carton. Partit. Benlèu a l’autre cap del mond. Sens èsser estat dubèrt. Sens me revelar sos secrets. Alara qu’èri a mand de capitar. Qu’anavi far de la meuna vida ara ? Ma vida tan vuèja, tan banala, tan insipida ? Question retorica mas question ça que la. E mèrda, e mèrda, e mèrda ! Es lo moment qu’a causit Milà per me dire :

— Sabètz, Magdalena, aviam dins l’idèa de partir totes tres passar lo mes d’agost a la broa de la mar. Nicolau a un pichòt chalet a Grussan. E coma es pas possible per vos de tornar en çò vòstre, nos sèm dit qu’auriatz benlèu enveja de nos acompanhar ?

 Aürosament qu’èri assetada perque cresi que seriái tombada senon !

Rai, Milà e Lavanda m’an ajudada aquel tantòst per far mas valisas. Ai daissat un messatge a l’assistenta de vida per la prevenir de mon despart pròche. Li ai tanben demandat d’avertir lo filh se telefonava. Tot es en òrdre. Partirem dins dos jorns amb la veitura de Lavanda (Milà n’a pas e la de Nicolau es un vertadièr perilh doblat d’una descaissariá. Soi decebuda de pas aver sauput çò que i aviá  dins lo carton mas amb tota aquela istòria, ai ganhat tres joves amics que prenon suènh de ieu. Èra inesperat a mon atge. E rassegurant. E doç. De qué acabar mos vièlhs jorns amb lo sorire...

 

 

Mes de febrièr de ...

Mos cars amics, ma bèla Milà,

 

Vaquí, ai vist los mètges. La novèla es tombada. Me demòra pas que un o dos meses abans de morir. Ai pas enveja d’escriure partir perque seriá s’amagar la vertat. Vau morir. O sabi, o sabètz. Me fau paur, segur. Mas me disi qu’ai l’astre rare d’aver encontrat tres meravilhosas personas que m’acompanhan cada jorn ont que siá. Mas abans de morir, vau partir. Vòli pas demorar amb vosautres perque es important per ieu de demorar en bona santat dins los vòstres remembres. Benlèu qu’es egoïsta mas me’n foti. Ai ganhat lo dreit d’èsser egoïsta. Mas es pas per aquò que vos escrivi, vos farai mos adieu coma se deu.

Aquela letra es per ma maire. Vos expliqui. Soi totjorn estat pròche de mamà, Milà ne pòt testimoniar, s’es pro sovent trufada de ieu per aquò. En morent, la daissi sola. E ma mai granda paur es que se daisse completament anar o que pèrda lo cap. Es una brava pichòta vièlha, plena de bons mots e de bonas idèas. Sabi que sauprà vos amistosar. Mas, e es aquò çò mai important, vòli pas que sàpia que vos ai demandat de vos mainar d’ela. Acceptariá pas jamai. Vos daissi donc d’argent per mudar e vos sarrar d’ela. Demòra dins un barri fòrça simpatic que fa bon i viure. Pel demai, vos daissi vos desmerdar ! Compti sus la vòstra imaginacion per trapar quicòm que picarà sa curiositat !

Milà, ma bèla, ma tendra, t’aimi coma un baug. O sabes mas ai besonh de lo metre per escrit per èsser segur qu’o doblidaràs pas. Vas adorar ma maire e sabi que trobaràs lo bon moment per li dire que soi mòrt, que m’as conegut e qu’èri ton primièr amor. Disi lo primièr perque un jorn, quand la dolor serà passada, encontraràs qualqu’un d’autre, un òme que te dirà el tanben que t’aima coma un baug e qu’ès la femna de sa vida.

Veni de t’ausir dintrar, Nicolau. Me vau arrestar aicí. Vos fau fisança. Vos aimi totes tres.

 

Lo vòstre amic, Tomàs

 

Texte de Johanna Pellicer, de Coursan (11), 2022

 
 Monsieur Crt
 

ça alors ! En déchargeant le camion de déménagement, ils découvrent un carton supplémentaire. C'était un carton de petite taille, d’environ 25x20x20 cm, d'ailleurs on aurait plutôt dit que c'était une boite. Il ne possédait aucune étiquette. Les deux déménageurs s'échangèrent un regard d'incompréhension. Il était fréquent dans les déménagements de perdre des cartons, mais d'en trouver un de plus, c'était plus improbable.

Les deux hommes décidèrent d'aller en toucher un mot aux nouveaux propriétaires, pour s'expliquer avec eux.

Du côté des nouveaux aménageurs, ils nièrent le fait que ce carton leur appartenait, mais les déménageurs n'en étaient pas convaincus :

— Mais enfin, monsieur, il est forcément à vous. Aujourd'hui, nous n’avions qu'une seule maison à transporter et c'est la vôtre ! Nous sommes partis de l’entrepôt camion vide et nous devons le ramener vide. J'en suis désolé mais il ne peut être qu'à vous.

— Je suis vraiment perdu, soupira M. Lee, assez fatigué par son long voyage. Bon, soit, je le prends.

 

Il n'était pas d'humeur à argumenter le fait que ce carton ne lui appartenait pas. Mais il détestait encore plus les déménagements. Même s’il avait vécu en France pendant un certain bout de temps, Young-Jae ne se sentait pas le bienvenu.

Il avait fait des études en France et avait rencontré l'amour. Une jeune et magnifique jeune femme française du nom de Joy (elle avait des origines anglophones). Les deux petits tourtereaux, à la fin de leurs circuits d'études, décidèrent d'aménager ensemble à Bordeaux, dans un petit appartement près des quais. Tout se passait à merveille entre eux et ils eurent un petit garçon nommé Lee Sun Woo. Lors de sa deuxième grossesse, Joy n'allait pas bien et mourut, laissant derrière elle une famille perdue dans ce grand pays. L'enfant fut sauvée et elle se prénomma Lee Eun Joo, ce qui signifie petite fleur, en coréen.

Par manque d'argent, la famille fut expulsée de l'appartement qui était un repère pour eux. Le père décida que le mieux, pour sa petite famille, était de repartir en Corée chez ses parents, étant donné ses faibles moyens économiques et linguistiques. Ils partirent donc vivre là-bas, laissant ce pays qu'ils aimaient tant.

 

Young-Jae n'allait pas très bien et tomba dans une dépression, tellement forte qu'il fut hospitalisé. Eun Joo, elle, âgée de quelques mois, s'était adaptée à ses grands-parents et à la vie coréenne. Par contre, Sun Woo, qui avait une dizaine d'années et parlait un mélange de français-coréen, ce qui ne manquait pas d'amuser certains de ses camarades, avait du mal à s’intégrer et espérait repartir le plus vite possible. Il était pourtant populaire auprès des filles, mais un peu moins du côté des garçons qui, pour la plupart, ne le supportaient pas ou peu.

C'était un petit homme d'une rare et pure beauté. Il était de nature calme, posée et avait un amour fou pour sa famille et se sentait responsable de sa petite sœur. Il s'occupait d'elle comme n’importe quelle maman s'occupe de son enfant. Mais il avait un secret gardé par lui et sa petite Eun Joo : il adorait chanter, mais n'osait pas le dire à quiconque, de peur qu'on se moque de lui. C'était sûrement l’environnement scolaire qui l'avait brisé. Cette peur constante d'être humilié, d'être la proie des critiques et des moqueries.

Eun Joo, elle, était sa plus grande fan. Souvent, elle l’accompagnait avec ses mains et poussait de temps en temps des petits cris pour imiter son frère.

 

Les années passèrent et, à l’âge de quinze ans, Sun Woo, pour la première fois de sa vie, chanta devant d'autres personnes que sa petite sœur, maintenant âgée de cinq ans, en passant une audition pour être recruté dans l'industrie du chant. Bien sûr, il la réussit et devint stagiaire dans ces entertainments qui forment les idoles des jeunes collégiens de Corée.

Il fut donc contraint à quitter le cocon familial pour avoir une chance de réaliser son rêve.

M. Lee, lui, rassuré que son fils trouve enfin du bonheur, décida qu'il était temps pour lui de trouver le sien et de contribuer à celui de sa fille. Il commença par essayer de trouver un travail. Il éplucha des centaines d'annonces, mais la seule qu'il l'attirait se trouvait en France. Young-Jae avait finalement pris la décision de repartir vivre en France avec sa fille.

 

— Bon, monsieur ! Nous n'avons pas toute l'après-midi pour nous occuper de vos cartons. J'le pose où ? 

Cette voix le sortit de sa rêverie et il tendit le bras pour prendre le mystérieux carton. Mais Eun Joo le devança en l'arrachant des bras du déménageur. La petite avait une habitude plutôt naturelle de le sortir du pétrin quand il le fallait. Sûrement une sorte de sixième sens que les enfants ont, quand ils sont jeunes.

Ils s'avancèrent tous les deux, main dans la main, pour découvrir leur nouvel appartement, situé au 10 rue de L...

Young-Jae commença à ouvrir un par un tous les cartons alors qu’Eun Joo, elle, s’était mise à dessiner, sur le carton inconnu, des fleurs et une paire d’yeux. Il était très surpris que la petite fille accorde autant d'attention à ce vulgaire carton.

 

Le lendemain, ils profitèrent de l’éclatant soleil pour visiter leur nouveau village, connaître un peu les habitants du coin, et faire le plein de nourriture.

Ils eurent le temps de sympathiser avec les autres villageois. M .Lee espérait que ce village serait le bon et qu'il pourrait enfin arrêter de déménager et de devoir reconstruire sa vie.

 

Tout se passait bien dans leur nouveau village mais Young-Jae savait bien que sa fille, très timide, avait des difficultés. Un soir, elle lui avait demandé ce qu’était une nouille. Il avait d'abord été surpris puis s'était rendu compte que c'était un terme que la petite fille entendait souvent, et que les autres la nommaient comme ça.

Elle lui avait ensuite demandé comment reconnaître des amis. C'est à ce moment qu'il avant compris que la petite fille était terriblement seule, et qu'elle était extrêmement douée pour cacher ses sentiments.

Depuis ce jour-là, il fut aux petits soins pour sa fillette.

 

Un beau jour, quelques mois après leur déménagement, il reçut un appel de son fils, âgé maintenant de seize ans : 

— Papa ! J'ai réussi ! Je vais vivre mon rêve !

— C'est génial ! Je savais que tu y arriverais !

— Je fais enfin partie du groupe « VXX+» !

— Je suis si fier de toi. Pardon de ne pas avoir été présent durant ses dernières années mais...

— Je sais. Ce n'est pas de ta faute si maman n'est plus là.

—  …

— Écoute, je ne t'en veux pas.

— Pardon, Sun-Woo.

— Mais puisque je te dis que ce n'est pas grave. Pffffff… je te parle de mes débuts en tant que chanteur, et toi tu…

Mais son père le coupa.

— Oui, tu as raison. Bon, quand est-ce que tu passeras à la télé ?

— Nous débutons le 29 février, donc je pense qu’il y aura une émission pour nos débuts, ce jour-là.

— Sur KBSworld ?

— Oui, je dois te laisser, désolé. Bye.

 Le 29 février… quel drôle de jour, se dit M. Lee.

 

Le jour venu, M. Lee et Eun Joo s’installèrent devant la télévision avec un plateau repas. Eun Joo était assise avec son carton décoré, dont elle n'avait pas voulu se séparer, sur les genoux, comme un doudou. M. Lee avait du mal à comprendre ce qu'elle trouvait à ce carton. Sûrement que les enfants voyaient des choses que les adultes ne comprenaient pas.

L'émission commença. Sun-Woo apparut. Comme il était beau ! M. Lee et Eun Joo se sentirent tellement fiers.

— Regarde, monsieur Carton ! C'est mon frère à la télé !

M. Lee et sa fille étaient dans une contemplation sans limite pour le jeune homme qui chantait divinement bien. La lumière semblait être dirigée uniquement sur lui et il rayonnait de mille feux.

Soudain, M. Lee aperçut du coin de l’œil que le carton émettait une lumière bleutée. Une sorte d’incandescence très faible. C'était sûrement la fatigue qui lui jouait des tours. C'était le genre de parole que l'on se disait quand on voulait se rassurer ou se persuader de quelque chose de non rationnel.

Eun Joo, elle, était fascinée par cet être qu'elle voyait à la télé, qui n'était autre que son frère adoré.

 

A la fin des quelques chansons chantées, Young-Jae et Eun Joo applaudirent très fort, tous les deux d'une fierté incomparable, lorsque soudain, une petite voix sortie de nulle part prit la parole : « C'est vrai qu'il chante bien, ce môme ! Et quelle voix magnifique ! ».

M. Lee eut des frissons et il sentait déjà des sueurs froides descendre le long de son dos. Il était évident que ce n'était pas une voix de petite fille qui avait prononcé ces paroles, mais plutôt celle d'un homme d’âge moyen. 

— Eun... Eun Joo, c'est-est toi qui-qui-ii a parlé ?

— Non, papa.

M. Lee prit son courage à deux mains et posa la question ultime.

— Qui-i êtes-vous ? Qui que vous soyez, il faudra me passer dessus pour toucher à Eun Joo.

Alors la mystérieuse voix répondit très calmement :

— Hé, relax, mec ! C'est moi.

— Mais enfin, qui êtes-vous, mais surtout, où êtes-vous ?

— Juste à côté de toi. T'es aveugle ou quoi ?

— Déjà, tu te calmes. À tout moment, j'appelle la police, donc modère ton langage, s'il te plait.

— Sauf que tu crois que les flics vont te croire ? Tu les appellerais pour dire qu'un carton te parle mal ? 

 

M. Lee fut absolument abasourdi. Il se trouvait face à un carton parlant. Il demanda à Eun Joo de le pincer pour être sûr qu'il ne rêvait pas. Effectivement, ce n'était pas le cas, vu comment il avait mal.

Il décida qu'il était temps de faire un point sur sa situation. Premièrement, il était face à un carton parlant, donc à un alien d'une autre galaxie et il ne connaissait aucune des intentions de celui-ci. Deuxièmement, il ne rêvait pas, vu le mal qu’il ressentait après le pincement de Eun Joo. Troisièmement, il était totalement paniqué. La conclusion de tout ça, était, selon lui : parler au carton pour en savoir plus sur lui, mais aussi pour gagner du temps.

— Bon, ben, tu veux quoi ? Nous tuer, nous envoyer sur ta planète pour nous exploiter, nous voler des choses, que l'on devienne tes cobayes ?... Mais pitié, dis-nous...

(Effectivement, M. Lee avait perdu toute chose qui ressemblait à du sang froid)

La réponse du Carton fut très inattendue :

— Hé ! Chuis pas un de ces monstres, protesta-t-il, faut se détendre, man, j'suis juste en vacances. Et ouais, manger gratos grâce à ma très chère Eun Joo, faire des balades, me la couler douce sans préoccupation. Faire du tourisme chez les humains est devenu de plus en plus rare pour les cartons ! 

 

M. Lee ne s'était même pas étonné de sa réponse. Il était vrai qu'avoir en face de soi un carton qui parle était plus choquant que le fait qu'il fasse du tourisme chez les « humains ».

- Écoute, Eun Joo, je pense que ton papa a besoin de dormir et toi aussi. On va donc tous aller se coucher et on reprendra la discussion demain. Quand tout le monde sera reposé. 

Elle acquiesça et ils partirent tous dormir.

 

Le lendemain, le carton leur expliqua qu'il venait d'un pays dont la situation était instable et ou tout pouvait arriver, que ce soit bon ou mauvais, et qu'il avait eu besoin de vacances. Il s'était dit que les humains ne le remarqueraient pas, mais c'était sans compter sur Eun Joo qui l'avait démasqué, un soir où il essayait de sortir de sa chambre. Il les informa aussi que c'était son dernier jour de congés et qu'il devait repartir. Il leur promit de revenir tous les ans chez eux car il avait lié une amitié sincère avec Eun Joo.

 

Depuis ce jour, chez les Lee, tous les ans, pendant les vacances cartoniennes, Monsieur Crt, car c'est ainsi que se prénommait le carton, revenait chez les humains avec sa famille.

Peut-être qu'avec les humains, Eun Joo n'avait pas d'amis ni de reconnaissance, mais chez les cartons, c'était tout le contraire.

Dans tous les cas, elle était différente, mais elle avait enfin les amis qu'elle méritait et était heureuse.

 

Texte de Eulalie Ginestet, de Ramonville-Saint-Agne (31), 2022


 


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