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"Ça alors ! En déchargeant le camion de déménagement, ils
découvrent un carton supplémentaire."
ou
encore :
"Son a mudar, e en descargant lo camion, aquí que te tròban un
carton de mai."
Lire :
- Lupin (texte adulte)
- Lo
filh (texte occitan)
-
Monsieur Crt
(texte Jeune)
Lupin
Ça alors, en
déchargeant le camion de déménagement, ils découvrent un carton
supplémentaire.
Un carton d’emballage coloré qui se différencie bien de ceux de nos
déménageurs qui arborent tous un magnifique chapeau breton et son long
ruban de satin qui flotte à l’arrière. Tout le monde, interloqué, se
regarde. Les déménageurs se regardent tour à tour, papa regarde maman,
ma sœur me regarde et moi, voulant fuir le regard de tous, je regarde le
carton. C’est maman qui rompt le silence. Elle brandit le cutter qu’elle
tient à la main :
— Je ne sais pas ce que c’est, ce carton ! Y a qu’à l’ouvrir pour voir
c’qu’y a d’dans.
Celui qui me semble le chef des ouvriers l’arrête aussitôt.
— C’est peut-être pas si simple que ça. Premièrement, on nous a dit,
surtout depuis le Plan Vigipirate, de ne jamais ouvrir un colis suspect,
et puis deuxio…
Il regarde bien maman dans les yeux avant de lui lancer :
— Est-ce vous qui l’avez mis dans le camion ? Non ! Est-ce nous ? Non !
Alors, pourquoi ce carton serait à vous ?
Papa vient au secours de maman, c’est toujours comme cela à la maison.
— En tout cas, il est chez moi, il fait partie du déménagement, alors je
ne vois pas pourquoi on n’en ferait pas ce que l’on veut. A moins que
vous n’ayez envie de vous le garder pour vous !
Le chef ne relève pas cette remarque désobligeante et reprend avec
beaucoup de calme :
— Donc, en résumé : c’est pas vous qui l’avez mis dans le camion, c’est
pas nous, et notre véhicule reste toujours fermé à clé pendant tout le
trajet.
Un employé croit bon
d’ajouter :
— Attendez chef. Je me
rappelle que, quand on s’est arrêtés pour manger sur l’aire de
l’Aveyron, je suis allé vérifier, comme on le fait à chaque fois, si
rien n’avait bougé à l’intérieur du camion. Eh ben, le gros buffet avait
légèrement glissé et je suis parti chercher Robert pour qu’il m’aide à
le recaler. Mais comme Robert était aux toilettes, ça a pris un petit
peu de temps. On a dû rester ouvert cinq minutes.
— Je ne vois pas
pourquoi quelqu’un nous aurait fait ce cadeau, fait remarquer papa.
Pour faire mon
intéressant et surtout pour faire peur à ma petite sœur, j’ajoute :
— Ou alors, ce sont des
trafiquants de drogues qui se sont aperçus que la police de la douane
les avait repérés. Alors il fallait qu’ils se débarrassent de la
marchandise au plus vite. Ils ont choisi votre camion parce qu’il est
très reconnaissable. A mon avis, ils ne vont pas tarder à revenir,
lourdement armés, pour récupérer leur bien. D’ailleurs, je crois qu’une
voiture vient de s’arrêter devant la maison.
J’ai gagné, tout le
monde va à la fenêtre et ma sœur se jette au cou de papa.
Pour maintenir mon
avantage, car il n’y a sûrement pas de voiture, je m’écrie :
— Revenez vite,
regardez, je crois que le carton a bougé.
Papa me foudroie du
regard.
— Ne l’écoutez pas, faut
toujours qu’il imagine des histoires rocambolesques. Dans deux minutes,
il va nous dire qu’il entend un tic-tac, tic-tac, tic-tac.
Personne n’avait encore
songé à une bombe. Le chef fait signe à tout le monde de faire silence
et… à nouveau, le carton bouge.
Je me contente
d’ajouter, en regardant discrètement ma sœur :
— Attention, il y a
peut-être une bête, un nid de serpents ou une énorme araignée géante.
Ma sœur serre encore
plus fort le cou de papa. Elle a mis sa main devant ses yeux. Je crois
que j’ai pleinement réussi.
— Bon, les gars, faut
faire quelque chose. Si on est tous d’accord, on l’ouvre.
Maman tend son cutter,
mais le chef préfère le sien, accroché à la poche de sa salopette. Un
coup sec pour sectionner le scotch et c’est avec beaucoup plus de
délicatesse qu’il entrouvre le paquet suspect et le referme. Je ne sais
pas s’il a eu le temps de regarder, mais le voilà qui se relève, et
adresse un sourire narquois à tous les regards interrogateurs. Les deux
mains aux hanches, il donne un léger coup de pied au carton et,
aussitôt, on voit apparaître deux oreilles et une patte qui se pose sur
le rebord.
C’est ma sœur qui rompt
le silence en criant « Lupin » ! Elle l’attrape par les pattes de devant
et le serre contre son cœur. «
— Lupin, mon Lupin
adoré ! C’est bien lui, il a la tache blanche sous le menton.
Lupin, quel nom imbécile
pour un chat ! C’est ma sœur qui l’a choisi. Et ne croyez pas que ce
soit en rapport avec Arsène. Pourtant, de nombreux rapprochements
étaient possibles, mais cela m’apparaît beaucoup trop subtil pour son
esprit. Elle aurait pu penser à un chat voleur. Un chat qui mène deux
vies bien différentes, une la nuit et l’autre le jour. Un chat
aristocrate, prudent, observateur, curieux… Et surtout un chat élégant,
qui apporte beaucoup de soin à sa toilette… Non, elle a choisi Lupin à
cause de la fleur qu’elle trouve très belle. Au début, je l’ai appelé
Lulu. Cela ne plaisait pas et elle piquait des crises. Comme d’habitude,
j’ai presque cédé, je me contente à présent de lancer des « Tulipe » !
des « Dalhia » ! des « Marguerite » ! ou des « Lafleur », viens ici ! Et
cela suffit pour que ma sœur me courre après.
Maman laisse paraître
tout son désarroi.
— Je ne comprends pas.
On croyait tous qu’il était mort. Il a disparu au moins huit jours avant
le déménagement. Ah ben ça alors !
— Tu ne comprends pas !
Tu ne vois pas qui a pu enfermer notre chat dans un carton où il aurait
pu mourir étouffé. Tu ne vois vraiment pas. Eh bien, notre rigolo de
voisin. Je suis sûr que c’est un coup de Robert. J’ai toujours dit qu’il
faisait n’importe quoi.
Ça, c’est pas vrai !
Robert, il est super. Je suis bien content que, en reprenant le travail,
le chef fasse remarquer à papa que Robert a rendu le chat vivant et
qu’il y a de minuscules trous d’aération pour que notre animal respire.
Ça fait une semaine que
le déménagement a eu lieu et que l’on a abandonné la campagne
bourbonnaise. D’après maman, dans le Sud, on devait être beaucoup mieux.
— Vous aurez plus chaud,
ce sera plus grand, avec des pièces plus lumineuses, il y aura du soleil
presque toute l'année.
Pour le moment, je
trouve surtout qu’il y a beaucoup plus de vent. Ma petite sœur est
ravie, elle a bien, comme promis, une chambre pour elle toute seule.
Donc moi, sur ce coup, je gagne un peu de tranquillité et je peux, le
soir, éteindre quand je veux. Maman a une cuisine intégrée rutilante
avec beaucoup plus de placards, mais ils sont déjà tous pleins. Elle
avait beaucoup répété que, quand elle serait bien à l’aise, elle
pourrait nous préparer beaucoup plus facilement plein de très bons
petits plats. Pour le moment, elle n’a pas dû encore avoir le temps. Ce
n’est pas grave, j’adore les frites au micro ondes cuites en quatre
minutes chrono. Papa, lui, je crois qu’il n’a rien gagné. Quand on
parlait du déménagement et qu’il montrait un peu d’enthousiasme, je
sentais bien que c’était pour faire plaisir à maman. Quand il souriait,
c’était un sourire triste. Ce n'est pas tant qu'il se sentait bien dans
l’ancienne maison ; il rouspétait souvent que le garage était trop petit
et le jardin beaucoup trop grand. Mais c'était la maison construite par
son grand-père. Je connais l'histoire par cœur, il me l'a racontée cent
fois pour être sûr que je m’en imprègne bien. Je ne lui ai jamais dit
qu'il radotait. Je vous passe les détails, mais en gros, le grand-père,
le matin très tôt, avant d'aller au travail, il faisait le jardin. Et en
revenant le soir, jusqu’à la nuit, il faisait le jardin. Et le vendredi,
la grand-mère allait vendre les légumes au marché. C'est avec cet argent
qu'ils vivaient et donc il plaçait la paie à la Caisse d'épargne. Vous
comprenez mieux que pour lui, partir, c'était un peu trahir. Donc, en
résumé, maman est aux anges, ma sœur jubile, papa fait semblant d'être
heureux et moi, je ne sais pas. Le chat non plus ne sait pas. Tout le
monde le caresse plus que jamais. Ma sœur fait la comédie pour qu’on lui
achète les meilleures croquettes du marché, mais il ne semble pas en
faire cas. Il a même recommencé de faire pipi un peu partout. Maman
pense qu’il a besoin de s’approprier son nouveau domaine, de délimiter
son territoire. Mais moi, je sais ce qui lui manque, c’est Robert.
Robert, le grand-père
que je n’ai pas eu, il nous manque à tous les deux. Sa maison était
voisine de la nôtre et un petit portillon permettait à nos jardins de
communiquer. Il cultivait le sien et le nôtre parce que papa n’avait pas
le temps de tout faire. C’était là leur grand sujet de discorde. Robert
ne faisait pas exactement comme le papa de papa. C’était un grand crime
et je crois que ce qui faisait le plus rager papa, c’est que Robert
obtenait quand même de magnifiques légumes. Il possédait aussi un grand
hangar où il bricolait sans cesse. J’y étais dès que j’avais un moment
de libre, et notre chat aussi. Robert l’appelait "Petite fleur", car il
trouvait, comme moi, « Lupin » sans intérêt. Petite fleur, c’était un
morceau de jazz d’un trompettiste américain du temps de sa jeunesse. Un
gros succès, à l’époque. Chez Robert, Petite fleur avait sa gamelle avec
toujours quelques bribes de repas (Robert disait : des rogatons, mais je
ne sais pas si c’est français). Notre chat se régalait bien plus qu’avec
nos croquettes et surtout, après, il partait chasser dans le foin et
dans la luzerne qui s’entassaient au fond du hangar. Moi aussi, j’y
avais un petit chez moi, toute l’étagère du bas du grand placard. Mes
outils et mes jouets s’y entassaient. Tout ce que j’avais réussi à faire
bifurquer avant de prendre la direction de la déchetterie se trouvait
là. Mes petites voitures, celles qui roulaient mal, les écaillées,
celles qui avaient perdu leur capot. A toutes, Robert avait redonné un
coup de neuf. Un vrai magicien ! Mes albums Panini des années passées,
que j’avais eu tant de mal à terminer, côtoyaient mes puzzles auxquels
il manquait une ou deux pièces. Et surtout, il y avait mon doudou,
récupéré dans le sac noir d’extrême justesse. C’est là que je jouais le
mieux.
Je le regardais
rempailler les chaises ou faire des paniers en osier. Il m’avait aidé
pour que je fasse ma première corbeille. C’est vrai qu’elle n’était pas
très ronde, alors elle a dû rester là-bas. On me répétait sans cesse :
— Dans le camion de
déménagement, on ne pourra pas tout emporter, il faut que chacun fasse
son tri. Je me suis fait avoir, il y avait encore de la place pour ma
corbeille quand le camion est parti.
Aujourd’hui, grand
malheur, de nouveau, Lupin a disparu. La famille est au désespoir. Les
hypothèses fusent. On nous l’a volé, il s’est perdu, il s’est fait
écraser. On aurait dû aller le promener plus souvent, regrette ma sœur,
pour lui faire mieux connaître les environs.
— Il faudrait imprimer
une affichette pour mettre à la boulangerie, propose maman.
Mais elle n’est pas
certaine de pouvoir trouver une photo correcte. J’essaie d’être plus
positif en ajoutant que maintenant on n’aura plus de pipi dans les
coins, ni de poils sur le canapé, mais c’est un fiasco complet. Il
parait que je n’ai pas de cœur. Je ne dis pas ce que je pense, car je
suis sûr que, comme moi, il s’ennuyait dans cette maison sans âme. Il
gratouillait parfois à la porte de ma chambre en miaulant pour que je le
laisse rentrer mais, quelques minutes plus tard, il recommençait son
manège pour ressortir. Il n’était bien nulle part ici, alors il est
sûrement simplement parti voir ailleurs.
Moi, il faut que je
reste. Il me manque tout ce qu’on ne peut jamais mettre dans un camion
de déménagement : les copains du foot et du judo, les courses en VTT sur
les bords de l’Allier, mes trois copines (je n'ai jamais pu choisir). Tu
te feras d’autres amis, me dit-on, mais cela n’en prend pas la route. Je
suis surpris, ma sœur ne veut pas que l’on achète un autre chat.
Deux mois plus tard, on
reçoit une lettre de Robert. Il avait promis à papa de lui faire
parvenir de vieilles photos des temps anciens. Des photos où il était
avec le grand-père. Papa est fier de celle où on voit grand-père avec un
melon sur la tête et une énorme salade à la main. Papa nous fait la
lecture de la lettre à voix haute. Robert va bien. Il dit que les prises
de bec avec papa lui manquent. Papa marmonne et ne veut pas dire qu’à
lui aussi, Robert lui manque. Et puis il y a cette dernière phrase :
« Tu diras au petit que j’ai mis du foin dans sa corbeille et que la
petite fleur y est bien. »
— Tu comprends ce que
c’est, cette fleur dans ta corbeille ?
Je tremble, je rassemble
mes forces pour dire que je ne comprends pas. Là, ce serait trop, je ne
veux pas faire de la peine à ma sœur. Je me sauve, je ne veux pas que
l’on voit les larmes qui me viennent aux yeux. Je suis content pour
Lupin.
Texte
de Marc Breton, de Yzeure (03), 2022
Lo
filh
Dimècres 10 de julhet de...
10
oras 16
Son
a mudar, e en descargant lo camion, aquí que te tròban un carton
de mai.
Cossí o sabi ? Perque los ausissi plan dempuèi ma fenèstra
charrar per saber çò que ne devon far. Son de joves, tres,
benlèu de collocataris, o d’amics, o autra causa, sabèm pas
jamai al jorn de uèi amb totas aquelas istòrias de «troble» e
tot aquò. Son arribats aqueste matin per s’installar dins
l’ostal de la paura Margarida qu’es mòrta de lanha al despart de
son galant. Cal dire, quina idèa de se préner un òme a setanta
ans passats, un òme maridat mai que mai !
Rai
! Tornam a las nòstras rasons ! Los tres joves venon de sortir
lo carton en question. A pas res de particular mas vòl pas res
dire. I a pas a tortilhar, mon novèl punt de vista es perfièit !
Ai tot : l’ausida e l’imatge ! Pas coma amb lo de la cosina.
Rai. Capitan pas de s’acordar sus çò que devon far, la discutida
es ondosa. Las doas joventas lo vòlon dintrar e lo tipe prepausa
de l’escampar sulpic ! Mèrda, i a lo telefonet que tinda, vau
tot mancar ! Respondi o respondi pas ? Benlèu qu’es lo filh...
17 oras 02
Èra pas lo filh, èra encara un apèl per me far crompar un
quicòm que me servirà pas jamai a res. Rai. Aviái rason, ai tot
mancat ! Quand soi tornada, èran dintrats dins l’ostal. Çò qu’es
segur, es que lo carton es pas dins la carrièra nimai al
bordilhièr (soi anada verificar tot ara). D’aquí que me trapi,
pòdi lo veire pausat sus la taula de lor cosina. Me demandi se
l’an dubèrt. Me sembla pas.
Èra
plan la pauseta de la tantossada. Coma capitavi pas a dormir, ai
agachat una emission fòrça interessanta : la tòca es d’embarrar
de joves mai o mens bèls, de nenetas e de tipes amb un Q.I.
inferior a la mejana, de lor balhar de musica e d’alcoòl e de
veire çò que se pòt passar. Un estudi sociologic qué ! Bon,
forçadament, i a pas de vertadièr suspens, tot aquò s’acaba amb
de mond que se mandan en l’air e de brams e de lagremas, mas
èra distrasent.
Pensi que bolegarà pas pus en fàcia uèi. Vau demandar a la
vesina s’es disponibla per beure un còp d’aperitiu, amb
moderacion plan segur...
Dijòus 11 de julhet de...
3 oras 03
Fasiá tròp caud ièr de ser alara ai daissat fenèstra e
contravents dubèrts dins lo salon. E òc, lo salon perque
dormissi enbàs dempuèi que me soi petada la camba. Es lo filh
qu’a decidit. Un brave sadol, te juri ! Coma s’èri pas pus
capabla de prendre mas pròprias decisions ! I a de còps
qu’oblida que soi ieu que li cambièri las borrassetas !
Rai. Çò que m’a desrevelhada es que i a de rambalh en çò dels
joves. Son dins lo jardin a cavar un trauc. Lo carton es pausat
dins l’èrba. Ò macarèl, lo van enterrar ! Es un vertadièr
desastre per ieu ! Cossí vau saber çò qué i a dedins ? Cal que
trapa una idèa lèu lèu...
11 oras 15
Me
soi levada tard, la nuèit es estada agitada. Coma èra fòra de
question de los daissar enterrar mon carton, m’a calgut far
diversion. Me soi mesa a cridar « Ajudatz-me ! Ajudatz-me !
» puèi me soi colcada pel sol amb ma camba foleta, per far
coma s’èri tombada del lièit. La bona galejada ! Los tres joves
son arribats, las mans plenas de tèrra, espelofits, lo buf cort.
Auriatz vist la lor cara ! An agut besonh de s’i metre totes
tres per me levar. Un ase mòrt vertadièr. Èran inquiets, m’an
fait pena... e rire interiorament.
Rai. Quand son partits, los escobilhaires començavan lor
trabalh, èra pas pus possible pel trio de contunhar la lor
malafacha nueitenca. Una victòria per ieu ! M’o caldrà contar al
filh.
Divendres 12 de julhet de...
17 oras 48
Aqueste matin, Milà es passada per prendre de mas nòvas. Milà,
Lavanda e Nicolau, son lors pichons noms. Milà es una bruneta
fòrça simpatica que ponctua sas frasas de « bordèl de mèrda »
plan sentits. Me fa rire, la pichòta. N’ai profièitat per li
pausar qualques questions sus la lor vida a tres, l’installacion
:
—
Èran pas tròp pesucs, totes aqueles cartons ?
—
Non, non. E puèi aviam pas grand causa de mudar.
Conversacion banala. Se compreni plan, an agut l’ostal a un bon
prètz vist que la Margarida i es mòrta dedins. La paura
Margarida...
Rai. Los ai convidats totes tres a un aperitiu aqueste ser,
seràn aicí dins qualques minutas. Es l’ora de passar mon costume
de pichòta vièlha inofensiva per menar l’enquèsta...
Dissabte 13 de julhet de...
6 oras petantas
L’aperitiu
en çò meu s’es acabat en barbacoa en çò dels joves. Una serada
d’estiu suava e risolièra coma del temps que lo filh èra encara
a l’ostal. Milà e Lavanda son sòrres e Nicolau es en coble amb
Lavanda. Se son coneguts a l’Universitat e son ensenhaires totes
tres. An parlat de lor trabalh e de la lor vida fòra la classa.
Ai evocat los vesins e lo filh. Al moment del dessèrt, ai
pretextat un besonh urgent de cambiar de Tena (e òc, mon
perinèu es pas pus çò qu’èra) per me trapar soleta a l’autre cap
de l’ostal. Sabiái plan qu’aquò los metriá pro mal d’aise per
aver la patz.
Rai
! Decepcion ! Pas cap de carton. Me demandi plan çò qu’es
vengut. Mas la serada èra bona. Fa plaser. Lo filh me manca
fòrça...
Dimenge 14 de julhet de ...
15 oras 22
Pas
possible de far una prangièra ! I a l’autre agrolit d’a costat
que tòrna jogar amb sa talhaprat ! Soi sortida per li dire que
sèm pas a Wisteria Lane mas cresi qu’a pas comprés la
referéncia. Qu’un con !
Rai. A quicòm, lo Diable pòrta pèire : al moment de dintrar, ai
vist lo Nicolau sortir amb lo carton e l’entrepausar dins lo
garatge. Me demòra pas qu’a trapar una idèa per i poder dintrar.
M'agradariá d’aver un kit de raubaire, coma dins los
filmes. Me vau curar lo cervèl d'aicí deman...
Dimècres 17 de julhet de ...
8 oras 36
Soi
tornada après dos jorns de malautiá. Sabi pas tròp çò que m’es
arribat. Milà ditz qu’ai agut fòrça fèbre e qu’ai delirat. Tot
çò que me remembri es d’aver dubèrt lo carton. Èri davant lo
garatge e la pòrta se levava coma per magia. Aicí dedins, lo
carton e pas qu’aquel. M’aprochavi dins un ralentit digne de
Matrix filmat en contrapresa. Puèi dubrissiái lo carton.
Nívol de fum. Al fons de la boita tan cobejada, una fòto. Una
fòto del filh. Encara nívol de fum. Revelh.
Èra
pas qu’un sòmi. Soi dins un estat estranh. Lo contarai al filh
quand telefonarà. Benlèu que i a una significacion a tot aquel
deliri...
Divendres 19 de julhet de ...
11 oras e mièg
Me
sentissi melhor uèi. L'assistenta de vida ven de partir. Me
cofla aquela... Es plena de bons sentiments mas me dona
l’impression d’èsser una vièlha causa bona a pas res. E puèi,
vòli pas dire de mal mas a pas inventat l’aiga sucrada, la
neneta ! Passa son temps a dire d’absurditats pel sol plaser de
parlar, es amalugant.
Rai. Amb tot aquò, ai pas agut lo léser de soscar a una solucion
per me sarrar del carton. Lo punt positiu es que soi venguda
fòrça pròcha del triò d’en fàcia. Se mainan plan de ieu, son
adorables, vertadièrament. Es lo primièr còp dempuèi que lo filh
es partit que me sentissi un pauc viventa, un pauc aimada, un
pauc reala. Venon a l’ostal cada jorn, siá un, siá l’autre, de
còp totes tres per charrar, far una partida «d’escrabòl» (sabi
pas jamai cossí o dire aquel mot estranh), comentar las
redifusions de Las enquèstas impossiblas de Pierre
Bellemare... Es totjorn un buf de vida dins lo salon o la
cosina. Arriban coma de tornadas, parlan fòrt, s’escacalassan de
tot e de res. Aquò me sufís per aver enveja de me levar lo
matin, me dona una tòca dins mas jornadas vengudas tan
longassas. Fin finala, benlèu que soi una vièlha causa, parli
coma tala...
Dissabte 20 de julhet de ...
20 oras 44
Veni d’aver una idèa maquiavelica ! Ai passat ma jornada a
gaitar dempuèi mon punt de vista e soi segura d’una causa : lo
carton a pas bolegat del garatge. Lo Nicolau a passat la jornada
a i trabalhar, portal dubèrt en grand e mon car carton es
totjorn aicí, dins lo fons, coma amagat dins l’ombra... Òc, sabi
plan que dit coma aquò pareis un pauc dramatic, mas pensi que i
a dedins un mistèri grand e cal dire qu’a mon atge, es pas cada
jorn qu’avèm l’escasença de menar una enquèsta. Me sentissi un
pauc coma Miss Marpòl, levat que tricòti pas. Lo filh dit
qu’ai de mèrda dins los dets, tot aquò perque un jorn, per
Nadal, me soi mesa dins lo cap de li far un tricòt que fin
finala semblava mai a un vièlh preservatiu qu’a un pulòver
d’en çò del crocodil...
Rai, m’alunhi del subjècte qu’es : ai agut una idèa maquiavelica
! Donc, coma la tòca es de me sarrar lo mai possible del objècte
del delicte, pensi simular un problèma gròs de plombariá o autre
que me permetriá de m’installar d’un biais temporari en çò dels
tres pichons vesins...
21 oras 12
Òi
! I soi annada un pauc fòrt... Ara, tot lo planpè es banhat...
Lavanda, Milà e Nicolau son arribats tre que lor ai telefonat.
Nicolau m’a dit qu’èra una canalizacion dejós l’aiguièr qu’aviá
petat... Aviái pas besonh que m’o diguèsse puèi que soi ieu que
l’ai fait... Ai pres un aire contrit : èra pas complicat, me
fasiái repròchi de pas aver sauput dosar ma fòrça. Lo vam del
desesper benlèu... Quina volada lirica ! Me vaquí doncas
installada dins la cambra d’amic de mos tres joves. Cresi que
vau començar per dormir perque tot aquò m’a acabada, soi al cap
del camin...
Diluns 21 de julhet de ...
18 oras 01
Quina jornada estranha ! I a pas res qu’auriá pogut me preparar
a tan de borroladís ! Pr’aquò, ma jornada a començat normalament
: dejunar amb Milà dins la cosina, passatge dins la sala d’aiga
per me far presentabla, recepcion del plombièr per evocar
l’espandida del degalhs... Tot anava plan fins al repais de
miègjorn quand Lavanda a anonciat qu’ « Es bon, lo còlis es
mandat ! ». Pensi que me soi descompausada ! Èra pas possible
que parlèsse de mon carton, seriá un drama ! Ai demandat, l’aire
de res :
—
Sètz
anada a la pòsta ?
— E
òc. Quand avèm mudat, avèm trobat dins lo camion lo carton d’un
amic fòrça important que nos a demandat de li tornar tre que
possible. Aviái pas encara agut lo temps mas es causa faita ara.
Ai
agut tot d’un còp de dolors dins la peitrina, me semblava far un
infarctus. Mon carton. Partit. Benlèu a l’autre cap del mond.
Sens èsser estat dubèrt. Sens me revelar sos secrets. Alara
qu’èri a mand de capitar. Qu’anavi far de la meuna vida ara ? Ma
vida tan vuèja, tan banala, tan insipida ? Question retorica mas
question ça que la. E mèrda, e mèrda, e mèrda ! Es lo moment
qu’a causit Milà per me dire :
—
Sabètz, Magdalena, aviam dins l’idèa de partir totes tres passar
lo mes d’agost a la broa de la mar. Nicolau a un pichòt chalet a
Grussan. E coma es pas possible per vos de tornar en çò vòstre,
nos sèm dit qu’auriatz benlèu enveja de nos acompanhar ?
Aürosament qu’èri assetada perque cresi que seriái tombada
senon !
Rai, Milà e Lavanda m’an ajudada aquel tantòst per far mas
valisas. Ai daissat un messatge a l’assistenta de vida per la
prevenir de mon despart pròche. Li ai tanben demandat d’avertir
lo filh se telefonava. Tot es en òrdre. Partirem dins dos jorns
amb la veitura de Lavanda (Milà n’a pas e la de Nicolau es un
vertadièr perilh doblat d’una descaissariá. Soi decebuda de pas
aver sauput çò que i aviá dins lo carton mas amb tota aquela
istòria, ai ganhat tres joves amics que prenon suènh de ieu.
Èra
inesperat a mon atge. E rassegurant. E doç. De qué acabar mos
vièlhs jorns amb lo sorire...
Mes de febrièr de ...
Mos
cars amics, ma bèla Milà,
Vaquí,
ai vist los mètges. La novèla es tombada. Me demòra pas que un o
dos meses abans de morir. Ai pas enveja d’escriure partir perque
seriá s’amagar la vertat. Vau morir. O sabi, o sabètz. Me fau
paur, segur. Mas me disi qu’ai l’astre rare d’aver encontrat
tres meravilhosas personas que m’acompanhan cada jorn ont que
siá. Mas abans de morir, vau partir. Vòli pas demorar amb
vosautres perque es important per ieu de demorar en bona santat
dins los vòstres remembres. Benlèu qu’es egoïsta mas me’n foti.
Ai ganhat lo dreit d’èsser egoïsta. Mas es pas per aquò que vos
escrivi, vos farai mos adieu coma se deu.
Aquela letra es per ma maire. Vos expliqui. Soi totjorn estat
pròche de mamà, Milà ne pòt testimoniar, s’es pro sovent trufada
de ieu per aquò. En morent, la daissi sola. E ma mai granda paur
es que se daisse completament anar o que pèrda lo cap. Es una
brava pichòta vièlha, plena de bons mots e de bonas idèas. Sabi
que sauprà vos amistosar. Mas, e es aquò çò mai important, vòli
pas que sàpia que vos ai demandat de vos mainar d’ela.
Acceptariá pas jamai. Vos daissi donc d’argent per mudar e vos
sarrar d’ela. Demòra dins un barri fòrça simpatic que fa bon i
viure. Pel demai, vos daissi vos desmerdar ! Compti sus la
vòstra imaginacion per trapar quicòm que picarà sa curiositat !
Milà, ma bèla, ma tendra, t’aimi coma un baug. O sabes mas ai
besonh de lo metre per escrit per èsser segur qu’o doblidaràs
pas. Vas adorar ma maire e sabi que trobaràs lo bon moment per
li dire que soi mòrt, que m’as conegut e qu’èri ton primièr
amor. Disi lo primièr perque un jorn, quand la dolor serà
passada, encontraràs qualqu’un d’autre, un òme que te dirà el
tanben que t’aima coma un baug e qu’ès la femna de sa vida.
Veni de t’ausir dintrar, Nicolau. Me vau arrestar aicí.
Vos fau fisança. Vos aimi totes tres.
Lo
vòstre amic, Tomàs.
Texte de Johanna Pellicer, de Coursan (11), 2022 |
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Monsieur
Crt
ça alors ! En
déchargeant le camion de déménagement, ils découvrent un carton
supplémentaire. C'était un carton de petite taille,
d’environ 25x20x20 cm, d'ailleurs on aurait plutôt dit que
c'était une boite. Il ne possédait aucune étiquette. Les deux
déménageurs s'échangèrent un regard d'incompréhension. Il était
fréquent dans les déménagements de perdre des cartons, mais d'en
trouver un de plus, c'était plus improbable.
Les deux hommes décidèrent d'aller
en toucher un mot aux nouveaux propriétaires, pour s'expliquer
avec eux.
Du côté des nouveaux aménageurs, ils
nièrent le fait que ce carton leur appartenait, mais les
déménageurs n'en étaient pas convaincus :
— Mais enfin, monsieur, il est
forcément à vous. Aujourd'hui, nous n’avions qu'une seule maison
à transporter et c'est la vôtre ! Nous sommes partis de
l’entrepôt camion vide et nous devons le ramener vide. J'en suis
désolé mais il ne peut être qu'à vous.
— Je suis vraiment perdu, soupira M.
Lee, assez fatigué par son long voyage. Bon, soit, je le prends.
Il n'était pas d'humeur à argumenter
le fait que ce carton ne lui appartenait pas. Mais il détestait
encore plus les déménagements. Même s’il avait vécu en France
pendant un certain bout de temps, Young-Jae ne se sentait pas le
bienvenu.
Il avait fait des études en France
et avait rencontré l'amour. Une jeune et magnifique jeune femme
française du nom de Joy (elle avait des origines anglophones).
Les deux petits tourtereaux, à la fin de leurs circuits
d'études, décidèrent d'aménager ensemble à Bordeaux, dans un
petit appartement près des quais. Tout se passait à merveille
entre eux et ils eurent un petit garçon nommé Lee Sun Woo. Lors
de sa deuxième grossesse, Joy n'allait pas bien et mourut,
laissant derrière elle une famille perdue dans ce grand pays.
L'enfant fut sauvée et elle se prénomma Lee Eun Joo, ce qui
signifie petite fleur, en coréen.
Par manque d'argent, la famille fut
expulsée de l'appartement qui était un repère pour eux. Le père
décida que le mieux, pour sa petite famille, était de repartir
en Corée chez ses parents, étant donné ses faibles moyens
économiques et linguistiques. Ils partirent donc vivre là-bas,
laissant ce pays qu'ils aimaient tant.
Young-Jae n'allait pas très bien et
tomba dans une dépression, tellement forte qu'il fut
hospitalisé. Eun Joo, elle, âgée de quelques mois, s'était
adaptée à ses grands-parents et à la vie coréenne. Par contre,
Sun Woo, qui avait une dizaine d'années et parlait un mélange de
français-coréen, ce qui ne manquait pas d'amuser certains de ses
camarades, avait du mal à s’intégrer et espérait repartir le
plus vite possible. Il était pourtant populaire auprès des
filles, mais un peu moins du côté des garçons qui, pour la
plupart, ne le supportaient pas ou peu.
C'était un petit homme d'une rare et
pure beauté. Il était de nature calme, posée et avait un amour
fou pour sa famille et se sentait responsable de sa petite sœur.
Il s'occupait d'elle comme n’importe quelle maman s'occupe de
son enfant. Mais il avait un secret gardé par lui et sa petite
Eun Joo : il adorait chanter, mais n'osait pas le dire à
quiconque, de peur qu'on se moque de lui. C'était sûrement
l’environnement scolaire qui l'avait brisé. Cette peur constante
d'être humilié, d'être la proie des critiques et des moqueries.
Eun Joo, elle, était sa plus grande
fan. Souvent, elle l’accompagnait avec ses mains et poussait de
temps en temps des petits cris pour imiter son frère.
Les années passèrent et, à l’âge de
quinze ans, Sun Woo, pour la première fois de sa vie, chanta
devant d'autres personnes que sa petite sœur, maintenant âgée de
cinq ans, en passant une audition pour être recruté dans
l'industrie du chant. Bien sûr, il la réussit et devint
stagiaire dans ces entertainments qui forment les idoles
des jeunes collégiens de Corée.
Il fut donc contraint à quitter le
cocon familial pour avoir une chance de réaliser son rêve.
M. Lee, lui, rassuré que son fils
trouve enfin du bonheur, décida qu'il était temps pour lui de
trouver le sien et de contribuer à celui de sa fille. Il
commença par essayer de trouver un travail. Il éplucha des
centaines d'annonces, mais la seule qu'il l'attirait se trouvait
en France. Young-Jae avait finalement pris la décision de
repartir vivre en France avec sa fille.
— Bon, monsieur ! Nous n'avons pas
toute l'après-midi pour nous occuper de vos cartons. J'le pose
où ?
Cette voix le sortit de sa rêverie
et il tendit le bras pour prendre le mystérieux carton. Mais Eun
Joo le devança en l'arrachant des bras du déménageur. La petite
avait une habitude plutôt naturelle de le sortir du pétrin quand
il le fallait. Sûrement une sorte de sixième sens que les
enfants ont, quand ils sont jeunes.
Ils s'avancèrent tous les deux, main
dans la main, pour découvrir leur nouvel appartement, situé au
10 rue de L...
Young-Jae commença à ouvrir un par
un tous les cartons alors qu’Eun Joo, elle, s’était mise à
dessiner, sur le carton inconnu, des fleurs et une paire d’yeux.
Il était très surpris que la petite fille accorde autant
d'attention à ce vulgaire carton.
Le lendemain, ils profitèrent de
l’éclatant soleil pour visiter leur nouveau village, connaître
un peu les habitants du coin, et faire le plein de nourriture.
Ils eurent le temps de sympathiser
avec les autres villageois. M .Lee espérait que ce village
serait le bon et qu'il pourrait enfin arrêter de déménager et de
devoir reconstruire sa vie.
Tout se passait bien dans leur
nouveau village mais Young-Jae savait bien que sa fille, très
timide, avait des difficultés. Un soir, elle lui avait demandé
ce qu’était une nouille. Il avait d'abord été surpris
puis s'était rendu compte que c'était un terme que la petite
fille entendait souvent, et que les autres la nommaient comme
ça.
Elle lui avait ensuite demandé
comment reconnaître des amis. C'est à ce moment qu'il avant
compris que la petite fille était terriblement seule, et qu'elle
était extrêmement douée pour cacher ses sentiments.
Depuis ce jour-là, il fut aux petits
soins pour sa fillette.
Un beau jour, quelques mois après
leur déménagement, il reçut un appel de son fils, âgé maintenant
de seize ans :
— Papa ! J'ai réussi ! Je vais vivre
mon rêve !
— C'est génial ! Je savais que tu y
arriverais !
— Je fais enfin partie du groupe
« VXX+» !
— Je suis si fier de toi. Pardon de
ne pas avoir été présent durant ses dernières années mais...
— Je sais. Ce n'est pas de ta faute
si maman n'est plus là.
— …
— Écoute, je ne t'en veux pas.
— Pardon, Sun-Woo.
— Mais puisque je te dis que ce
n'est pas grave. Pffffff… je te parle de mes débuts en tant que
chanteur, et toi tu…
Mais son père le coupa.
— Oui, tu as raison. Bon, quand
est-ce que tu passeras à la télé ?
— Nous débutons le 29 février, donc
je pense qu’il y aura une émission pour nos débuts, ce jour-là.
— Sur KBSworld ?
— Oui, je dois te laisser, désolé.
Bye.
Le 29 février… quel drôle de jour,
se dit M. Lee.
Le jour venu, M. Lee et Eun Joo
s’installèrent devant la télévision avec un plateau repas. Eun
Joo était assise avec son carton décoré, dont elle n'avait pas
voulu se séparer, sur les genoux, comme un doudou. M. Lee avait
du mal à comprendre ce qu'elle trouvait à ce carton. Sûrement
que les enfants voyaient des choses que les adultes ne
comprenaient pas.
L'émission commença. Sun-Woo
apparut. Comme il était beau ! M. Lee et Eun Joo se sentirent
tellement fiers.
— Regarde, monsieur Carton ! C'est
mon frère à la télé !
M. Lee et sa fille étaient dans une
contemplation sans limite pour le jeune homme qui chantait
divinement bien. La lumière semblait être dirigée uniquement sur
lui et il rayonnait de mille feux.
Soudain, M. Lee aperçut du coin de
l’œil que le carton émettait une lumière bleutée. Une sorte
d’incandescence très faible. C'était sûrement la fatigue qui lui
jouait des tours. C'était le genre de parole que l'on se disait
quand on voulait se rassurer ou se persuader de quelque chose de
non rationnel.
Eun Joo, elle, était fascinée par
cet être qu'elle voyait à la télé, qui n'était autre que son
frère adoré.
A la fin des quelques chansons
chantées, Young-Jae et Eun Joo applaudirent très fort, tous les
deux d'une fierté incomparable, lorsque soudain, une petite voix
sortie de nulle part prit la parole : « C'est vrai qu'il chante
bien, ce môme ! Et quelle voix magnifique ! ».
M. Lee eut des frissons et il
sentait déjà des sueurs froides descendre le long de son dos. Il
était évident que ce n'était pas une voix de petite fille qui
avait prononcé ces paroles, mais plutôt celle d'un homme d’âge
moyen.
— Eun... Eun Joo, c'est-est toi
qui-qui-ii a parlé ?
— Non, papa.
M. Lee prit son courage à deux mains
et posa la question ultime.
— Qui-i êtes-vous ? Qui que vous
soyez, il faudra me passer dessus pour toucher à Eun Joo.
Alors la mystérieuse voix répondit
très calmement :
— Hé, relax, mec ! C'est moi.
— Mais enfin, qui êtes-vous, mais
surtout, où êtes-vous ?
— Juste à côté de toi. T'es aveugle
ou quoi ?
— Déjà, tu te calmes. À tout moment,
j'appelle la police, donc modère ton langage, s'il te plait.
— Sauf que tu crois que les flics
vont te croire ? Tu les appellerais pour dire qu'un carton te
parle mal ?
M. Lee fut absolument abasourdi. Il
se trouvait face à un carton parlant. Il demanda à Eun Joo de le
pincer pour être sûr qu'il ne rêvait pas. Effectivement, ce
n'était pas le cas, vu comment il avait mal.
Il décida qu'il était temps de faire
un point sur sa situation. Premièrement, il était face à un
carton parlant, donc à un alien d'une autre galaxie et il ne
connaissait aucune des intentions de celui-ci. Deuxièmement, il
ne rêvait pas, vu le mal qu’il ressentait après le pincement de
Eun Joo. Troisièmement, il était totalement paniqué. La
conclusion de tout ça, était, selon lui : parler au carton pour
en savoir plus sur lui, mais aussi pour gagner du temps.
— Bon, ben, tu veux quoi ? Nous
tuer, nous envoyer sur ta planète pour nous exploiter, nous
voler des choses, que l'on devienne tes cobayes ?... Mais pitié,
dis-nous...
(Effectivement, M. Lee avait perdu
toute chose qui ressemblait à du sang froid)
La réponse du Carton fut très
inattendue :
— Hé ! Chuis pas un de ces monstres,
protesta-t-il, faut se détendre, man, j'suis juste en vacances.
Et ouais, manger gratos grâce à ma très chère Eun Joo, faire des
balades, me la couler douce sans préoccupation. Faire du
tourisme chez les humains est devenu de plus en plus rare pour
les cartons !
M. Lee ne s'était même pas étonné de
sa réponse. Il était vrai qu'avoir en face de soi un carton qui
parle était plus choquant que le fait qu'il fasse du tourisme
chez les « humains ».
- Écoute, Eun Joo, je pense que ton
papa a besoin de dormir et toi aussi. On va donc tous aller se
coucher et on reprendra la discussion demain. Quand tout le
monde sera reposé.
Elle acquiesça et ils partirent tous
dormir.
Le lendemain, le carton leur
expliqua qu'il venait d'un pays dont la situation était instable
et ou tout pouvait arriver, que ce soit bon ou mauvais, et qu'il
avait eu besoin de vacances. Il s'était dit que les humains ne
le remarqueraient pas, mais c'était sans compter sur Eun Joo qui
l'avait démasqué, un soir où il essayait de sortir de sa
chambre. Il les informa aussi que c'était son dernier jour de
congés et qu'il devait repartir. Il leur promit de revenir tous
les ans chez eux car il avait lié une amitié sincère avec Eun
Joo.
Depuis ce jour, chez les Lee, tous
les ans, pendant les vacances cartoniennes, Monsieur Crt,
car c'est ainsi que se prénommait le carton, revenait chez les
humains avec sa famille.
Peut-être qu'avec les humains, Eun
Joo n'avait pas d'amis ni de reconnaissance, mais chez les
cartons, c'était tout le contraire.
Dans tous les cas, elle était
différente, mais elle avait enfin les amis qu'elle méritait et
était heureuse.
Texte de Eulalie Ginestet, de
Ramonville-Saint-Agne (31), 2022 |
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Le recueil de nouvelles "Coups de théâtre dans les
cartons" (2022) est disponible, au prix de 9.00 €,
sur demande à l'adresse :
info@lecteurduval.org,
ainsi que le CD-audio "Còps de teatre dins los
cartons"
au prix de 4 € (+ port si nécessité d'envoi) |
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