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  Association des bibliothèques du Sicoval

Le Lecteur du Val - 10-12 bld des Genêts - 31320 CASTANET-TOLOSAN - Tél. 05.61.00.51.16
Nouvelles à lire : concours 2020


"La nouvelle s'étale en une du journal... Drôles de jardiniers dans le potager partagé !"
ou encore :
"Un títol gròs en primièra pagina... Estranhs ortalièrs dins l'òrt partejat !"


Lire :
- Monsieur le jounaliste
- Du rififi dans les salsifis
- Tèrra-tremol a Tèrra-Clapièr

Ecouter :
- Las trèvas de l'òrt

de Jean-Pierre Sanchez, de Saussines (34) - legit per Danís Batut
(grandmercé al blog http://escambisenoc.org/ que l'a mes en linha)


Monsieur le journaliste

La nouvelle s’étale en une du journal… « Drôles de jardiniers, dans le potager partagé ! »
C’est un de
vos drôles de jardiniers qui vous écrit, monsieur le journaliste. L’illuminé que vous ridiculisez dans votre article, l’hurluberlu, l’obsédé. Ah ! Vous en usez du qualificatif fleuri, monsieur, que j’appelle journaliste, même si je doute que vous méritiez le titre, mais comme vous ne signez pas votre papier… Oh ! Certes, c’est facile à comprendre… La vacance estivale, la politique en sommeil, les acteurs sociaux qui attendent la rentrée, pas de catastrophe ni d’attentat, pas de célébrité décédée… il faut quand même noircir les pages du journal en cette fin août, alors pourquoi pas un petit sujet rigolo, insolite, croustillant ? Oui, pourquoi pas ? Franchement, monsieur le journaliste, je n’ai rien contre. Mais faut-il pour autant négliger de vérifier ses sources, prendre pour argent comptant les racontars, ne pas contacter les acteurs de cet événement et abandonner l’histoire avant la fin, il est vrai moins drôle ? Faut-il surtout oublier que, derrière les pantins que vous agitez pour leur faire jouer un rôle ridicule, il y a des êtres de chair et de sang, qui ont une famille, des amis, des voisins, des collègues… et qui vont devoir vivre avec l’infamie que vous leur collez sur le dos ? A vous lire, je n’ai pas l’impression que tout ceci vous préoccupe beaucoup, monsieur le journaliste, mais ne vous y trompez pas, je ne suis pas en train d’exiger un droit de réponse, cette faribole qui ne sert qu’à donner bonne conscience puisque c’est bien toujours vous qui avez le dernier mot. Non, j’essaie juste de retracer le déroulement exact des faits, moins pour vous, qui en ferez bon usage s’il vous reste un fond d’honnêteté, que pour moi qui pourrai, en la mettant en mots, laisser plus facilement derrière moi cette histoire.

Voici donc ce qu’il en est. Ce lundi de fin août, en milieu d’après-midi, j’arrache les pommes de terre que je cultive dans ma parcelle des jardins partagés. J’ai pour habitude, une fois les tubercules sortis de terre, de les laisser sécher sur le sol, ce qui permet ensuite de les rentrer moins terreux. J’en suis à l’arrachage des derniers pieds quand Alex, mon voisin de jardin, m’interpelle pour m’annoncer que je vais mouiller ma récolte. Je ne comprends pas. Le ciel est tout bleu ! Alex pointe alors le doigt vers l’horizon derrière moi. Je me retourne et découvre une formidable barre noire qui envahit le ciel à toute vitesse. L’orage s’est préparé sans que je m’en rende compte. Je me hâte d’ensacher les pommes de terre. Alex vient gentiment me prêter la main mais nous n’avons pu mettre que trois sacs à l’abri dans le cabanon quand les premières gouttes nous frappent durement. Le temps de penser qu’on va prendre la douche et c’est un déluge qui nous tombe dessus. En quelques secondes nous sommes trempés mais, pour aussi désagréable que soit ce choc thermique entre la pluie glacée et la peau chauffée de soleil et de sueur, il est vite anecdotique comparé au danger qui nous environne. En effet, avec l’orage sont venus les éclairs et la foudre. Entre le plafond de plus en plus bas et le sol, les éclairs rebondissent et courent de grillage en grillage, tissant autour de nous un réseau de fils lumineux qui nous enserrent comme une toile d’araignée mouvante. Le pétrichor monté du sol chaud sous les premières gouttes est remplacé par une odeur de soufre. L’air pétille comme limonade et craquète. Alex, terrorisé, me fait signe qu’il faut quitter les lieux. C’est ce que nous faisons, quasi en aveugles. Quelques pas et je le perds de vue. Je ne sais pas comment je sors de ma parcelle ni de quel côté je vais, totalement désorienté, sonné de vacarme et d’éclairs, mais soudain mes mains au bout de mes bras tendus rencontrent un mur. Dans ce mur une ouverture, un porche qui donne accès à la cour d’une ferme. Sur le côté, un hangar où je me réfugie aussitôt. Me voilà à l’abri du déluge, mais suis-je vraiment en sécurité ? J’en doute. Les éclairs s’en donnent à cœur joie dans la cour et je suis à côté de machines agricoles métalliques. J’essaie de m’en éloigner en gagnant l’extrémité du hangar quand une main se pose sur mon épaule. Je sursaute. La fermière est là qui gesticule et parle sans que je comprenne un mot tant le tonnerre roule sans cesse. Elle me tire vers l’intérieur.
— Il cherche à se faire griller, l’imbécile heureux ? 
Je laisse glisser l’insulte, trop content d’être enfin vraiment à l’abri. Elle me conduit jusqu’à la cuisine où un feu brûle gentiment dans une grande cheminée. Une lampe éclaire en pauvre une table de bois épais. J’ai l’impression d’être dans un décor de film des années quarante. Tout est sombre, c’est à peine si on distingue les murs. Machinalement, je tends mes mains vers les flammes.

— Et il croit que c’est comme ça qu’il va sécher, l’imbécile heureux ! coasse la fermière qui m’ordonne sur le même ton d’enlever mes habits, de les essorer au-dessus de l’évier avant de les mettre à sécher sur le manche à balai qu’elle pose entre deux chaises devant le feu.
Redevenu petit garçon gourmandé, j’obtempère. En slip dans cette cuisine inconnue, devant une étrangère, je me sens aussi à l’aise qu’un timide à une orgie. Il est donc hors de question que j’enlève ce dernier rempart à ma pudeur. La fermière se moque mais va quand même récupérer pour moi un peignoir de bain rouge sang et une serviette. Tout nu dans ce vêtement qui en contiendrait trois comme moi, je me sèche quand la porte d’un placard qui occupe tout le mur du fond s’ouvre en grinçant. En sort une petite vieille en forme de criquet noir qui demande d’une voix de crécelle si c’est Eugène qui vient de rentrer.
— Non, bonne maman, on vous préviendra, rentrez dans le placard, grignotez un biscuit ! 
Et la vieille rentre aussitôt dans son réduit et moi je me demande si j’ai bien vu ce que je viens de voir quand la porte donnant directement sur la cour s’ouvre soudain. Entre un pêcheur d’Islande, tout de ciré jaune vêtu
.
Bon sang, qu’est-ce qu’il tombe ! Tous les anges sont sortis faire pipi en même temps ! Mais les petites sont à l’abri, ça va. 
Il se débarrasse de ses vêtements de pluie en les laissant tomber dans un baquet puis, à peine vêtu d’un short informe et d’une chemise ouverte sur plus de poils qu’il n’en faut à un honnête homme, ce géant s’approche de la fermière, qui dit qu’elle commençait à s’inquiéter, et l’embrasse goulûment. Baiser profond qui ne me semble pas avoir pour but de rassurer.  La mémé sort à nouveau du placard, demande si c’est Eugène et, comme on lui dit que ce n’est pas Eugène, se renferme. Le pêcheur d’Islande s’approche alors de moi, pointe un doigt plus gros que mon avant-bras sur mon sternum et demande à la fermière ce qu’elle fabrique avec un homme tout nu dans la cuisine. Je n’ai pas le temps d’amorcer une explication qu’un éclair plus intense coupe la lumière. Uniquement éclairés par les braises de l’âtre, nous baignons dans un clair-obscur très pictural que je n’ai guère le loisir d’apprécier car la porte s’ouvre à nouveau et entre un second pêcheur d’Islande, exactement semblable au premier.
— Bon sang, qu’est-ce qu’il tombe !
Tous les anges ont plongé en même temps et la piscine déborde, mais ça va, les petits sont à l’abri.
Je me demande qui sont ces petits et petites que ces pêcheurs d’Islande terrestres réussissent à mettre à l’abri tandis que le nouveau venu ôte son ciré et s’en vient, comme le premier, embrasser ardemment la fermière qui commençait à s’inquiéter. Je m’attends à ce qu’il vienne me menacer tout en demandant ce que je fais là tout nu, et je m’attends aussi à une sortie de la mémé criquet quand j’aperçois par la vitre de la porte d’entrée, dans la danse folle des éclairs qui sillonnent la cour, deux fillettes qui se tiennent par la main. Je crie. Je tends le bras. Tout le monde regarde dans la direction. J’en étais sûre, dit la fermière. Affolé, je dis qu’il faut les faire entrer, les mettre à l’abri. Les jumeaux d’Islande regardent, figés, sans rien faire, émus aux larmes, tandis que la fermière, à voix basse, consent à m’expliquer que ces petites sont les grands-tantes des jumeaux, qu’elles ont été foudroyées un demi-siècle plus tôt et que, chaque fois que l’orage se déchaîne, elles reparaissent à l’endroit où la foudre les a tuées. Eberlué, je constate que leurs cheveux et leurs vêtements, qui devraient coller au corps sous ce déluge, flottent sur leurs épaules et autour d’elles, mus par une légère brise. Quand un nouvel éclair emporte ce surprenant hologramme, les hommes essuient une larme. C’est alors que, rompant ce charme macabre, un choc sourd à l’étage nous fait lever la tête. Une porte s’ouvre en haut, suivie d’une cavalcade dans l’escalier. Déboule un adolescent tout en jambe, déguisé en soldat de quatorze
.
Mémé, c’est moi, Eugène, je suis revenu ! 
La mémé sort aussitôt du placard, les adultes sourient. Elle s’approche, attrape l’adolescent par l’improbable capote pour le pencher vers elle et mieux le voir.
— Hé, oui, c’est toi.
Alors qu’il confirme en se retenant de rire, elle lui balance une gifle qui lui retourne la tête.
— Tu n’es pas digne de confiance, Eugène ! Quand on dit qu’on revient au plus tôt, on n’attend pas soixante ans pour le faire. Retourne te promener sur ton Chemin des Dames, avec ces grues qui t’intéressent plus que moi ! 
Et elle s’enferme sans plus attendre dans son placard. Tout le monde rigole, sauf le gamin qui se tient la joue. La mémé criquet entrebâille à nouveau la porte pour accuser les adultes de vivre sur sa pension de veuve de guerre depuis soixante ans et de n’être même pas capables de la fournir correctement en biscuits.
Gêné d’être témoin de cette scène domestique, je me tourne vers l’âtre juste au moment où une boule de feu tombe de la cheminée, rebondit et part à l’horizontale. Le souffle qu’elle engendre m’arrache le peignoir aussi facilement qu’une bourrasque retourne un parapluie et me propulse à travers la pièce. C’est le mur d’en face qui m’arrête et m’assomme. Mon corps inerte et nu y glisse jusqu’au sol où il ne peut que gésir.

Je ne reprendrai pleinement conscience que quarante-huit heures plus tard, à l’hôpital. J’apprendrai alors qu’on peut être foudroyé et survivre. Mais en réchapper sans séquelles, comme c’est mon cas, même si certains dans mon entourage s’amusent à en douter, est rarissime. J’ai des brûlures aux pieds et aux mains, ce qui me vaut le surnom de Jésus de la part de ma facétieuse petite dernière, mais je suis sûr que ces stigmates ne resteront pas longtemps sur le mécréant que je suis. L’autre conséquence passagère de ce coup de foudre, c’est que mon cerveau, qui n’a pas grillé sous cette formidable poussée de tension mais a quand même été en surchauffe, m’a fait délirer deux jours durant. Et délirer à haute et intelligible voix. Tout l’hôpital est passé voir et entendre ce patient à mi-chemin entre conscience et inconscience qui parlait sans arrêt, tel un prédicateur possédé. Quelqu’un a eu l’idée de m’enregistrer, ce qui m’a permis, une fois tout rentré dans l’ordre, de prendre connaissance de ces délires dont je ne me souvenais pas. Vous venez de lire le premier d’entre eux, le plus raisonnable. Les suivants ayant besoin d’un carré blanc tant j’ai eu le coup de foudre torride.

Vous comprenez bien, monsieur le journaliste, que ce n’est pas dans la cuisine de cette ferme virtuelle que j’ai été foudroyé. Il n’y a pas de ferme près des jardins partagés. Même si vous n’êtes pas allé voir, vous le savez. C’est juste mon délire qui l’a créée. Délire déclenché par la foudre qui m’a bel et bien frappé, mais dans ma parcelle, près d’Alex, qui lui aussi a survécu, qui lui aussi a vu ses habits d’été arrachés et s’est retrouvé à terre, aussi nu que moi, sans comprendre ce qui arrivait.

Alors non, monsieur le journaliste, nous ne sommes pas deux petits tordus qui ont cru malin, afin de préserver leurs habits de la pluie, d’arracher les pommes de terre tout nus. Nous ne sommes pas non plus deux hippies attardés, célébrant à leur manière les cinquante ans de Woodstock, en se roulant sans vêtements dans la boue, comme certains l’ont fait lors du fameux festival. Et nous ne sommes évidemment pas deux obsédés sexuels aux mœurs particulières se livrant à des ébats obscènes sous l’orage. (Quand je relis cette phrase je me demande comment vous avez pu l’écrire sans que la honte vous submerge, monsieur le journaliste !)

Il a fallu la patience de ma famille, les témoignages du voisin qui a donné l’alerte, des pompiers qui nous ont secourus, du personnel hospitalier et l’écoute attentive de l’enregistrement de ma logorrhée pour que ma mémoire peu à peu reconstitue le drame et me permette de faire le tri entre mes délires et la réalité. Tri que vous n’avez manifestement pas fait de votre côté entre amusement et respect. Aujourd’hui, je sais où j’en suis. Je ne peux pas dire que vous m’avez aidé à m’y retrouver, monsieur le journaliste.

Voilà, c’est tout ce que le drôle de jardinier, l’obsédé, l’hurluberlu, l’illuminé et j’en passe, avait à vous dire. Et, contrairement à vous, monsieur le journaliste, je signe.

Texte de Serge Calmels, d'Argelès sur Mer (66), 2020



Du rififi dans les salsifis

La nouvelle s’étale en une du journal… « Drôles de jardiniers dans le potager partagé ! » Elsa soupire en repoussant le quotidien. Encore cette histoire de graffitis dans le jardin communautaire. Du rififi dans les salsifis ! L’échotier se gausse de ces plaisantins de jardiniers et de leurs vers de mirliton. L’imbécile ! Il ferait mieux d’écrire sur la disparition des oiseaux dans les campagnes, s’agace Elsa qui s’est tant investie dans ce projet de potager partagé baptisé Le légumier.

L’idée du jardin communautaire était née d’une rencontre entre quelques néoruraux et les habitants des Plaines, là où se sont construits les logements sociaux. Sur un terrain prêté par la mairie, on avait défriché quelques parcelles pour y planter des légumes. Elsa et Rémi avaient aidé au démarrage en offrant des semences assorties de conseils aux jardiniers amateurs. Au Légumier, on ne cultivait que du bio et Rémi, ça le connaissait, lui qui pratiquait le maraîchage sans pesticides ni engrais de synthèse.

Des écharpes de brume volent dans le matin humide. Pour ne pas réveiller Elsa et les enfants, Rémi prend son café brûlant dans la cour de la ferme. La voisine est déjà levée : la vieille apparaît dans l’encadrement de la fenêtre, comme chaque fois qu’elle entend du bruit dans la cour. Son regard est farouche. Elle effraye même les enfants.
Rémi enfourche son vélo et prend la route de ses champs qui passe devant le jardin partagé. C’est en longeant la palissade qu’il aperçoit de nouvelles inscriptions maladroitement tracées à la peinture noire sur les murs de planche des cabanons et des clôtures. Ça recommence ! Qui peut écrire ça ? Rémi est vaguement inquiet. Et le texte qui se forme jour après jour évoque ce matin les terres de la Plaine qu’une poignée d’agriculteurs, dont Rémi qui a converti son exploitation maraîchère en culture biologique, cultivent.

Au début, Rémi a cru à un jeu de gamins et il a souri en déchiffrant La mâche se cache, les pommes de terre se terrent, les petits pois sont aux abois. Sur un cabanon, s’étalait en lettres grasses : Tu assassines l’aubergine, tu maltraites la courgette, tu éclates la tomate.
La plupart des jeunes du village ne trouvent pas de travail. Désœuvrés entre deux boulots saisonniers, ils font des bêtises. Mais ce matin, c’est du sérieux. On ne rigole plus avec La pastèque est patraque, le cornichon moribond et les oignons ont pris des gnons. Les mots tracés sans soin à la bombe proclament : Foutez le camp, le Bourg veut pas les rebuts de la Plaine.
Cette fois, Rémi s’inquiète. Et puis, il y a eu le vol de la poule, une bonne pondeuse. On n’avait retrouvé que quelques plumes éparses, le renard avait sûrement deux jambes. Rémi a promis un chien, un gros qui saura tenir à distance les voleurs. Elsa n’a pas voulu effrayer les enfants, elle leur a raconté que la poule rousse, elle était partie pondre dans la mousse, comme dans la comptine qu’elle leur fredonne au coucher.

Ce ne sont plus des jeux d’enfants, plutôt un avertissement. Au lieu de rejoindre ses champs, Rémi descend la route en direction de la gendarmerie.
Un gendarme débonnaire a pris sa déposition en promettant d’aller faire un tour pour relever les inscriptions, mais Rémi a bien compris qu’il se moquait bien de son histoire. Tracer sur les planches de légumes : la laitue est foutue, la scarole s’est pris une torgnole ne constitue pas un délit au regard de la loi. Si ça se trouve, le fils du fonctionnaire fréquente cette bande de vauriens. Ils trainent dans les champs tard le soir et s’amusent à écrire leurs vers de mirliton : Le bourreau des poireaux fout la trouille au fenouil. Rémi a souvent pesté contre eux en ramassant leurs mégots et leurs canettes de bière. La lisière de son champ de courges a leur prédilection, sans doute parce qu’un bosquet les dissimule lorsqu’ils roulent leurs joints en écoutant leur musique de sauvage.

Quand il s’est allongé près d’elle dans le grand lit en noyer, Elsa a senti que son homme lui cachait quelque chose. Elle a un don pour deviner ces ruminations. Et elle le questionne jusqu’à ce qu’il se confie. Mais Elsa ne croit pas à la culpabilité des jeunes.
— Souviens-toi quand t’avais leur âge ! Tu n’avais pas envie que les vieux t’enquiquinent, non ? Ben c’est pareil pour eux. Pourquoi iraient-ils se faire remarquer alors qu’on les laisse fumer leur pétard tranquille !
— Mais qui alors ?
Elle chuchote pour ne pas réveiller les enfants.
— Pose-toi la question : à qui profite le crime ? Il y a des envieux qui aimeraient nous voir déguerpir. Ils n’aiment pas notre façon de faire pousser les légumes. Pour eux, nous sommes les tortionnaires des pommes de terre !
Rémi fait défiler dans sa tête tous les gens qui lui sont hostiles. Il n’y en a pas tant que ça. La distance méfiante des débuts s’est muée en respect, même si les vieux paysans restent sur leur réserve. Il peut les comprendre, la terre, ça se mérite, surtout quand on n’est pas issu du pays. Et, pour ne rien arranger, il ne cultive pas comme eux, refusant par là le savoir des anciens. L’agriculture biologique, ici on s’en méfie. Encore un truc des gens de la ville pour les appauvrir, parce que les rendements du bio !... Et le jardin partagé, qu’a-t-il à voir dans tout ça ? L’idée de départ, c’était de créer du lien social entre les habitants du village et les nouveaux arrivants qui ont investi les quartiers neufs de la Plaine. L’idée était belle, favoriser une mixité sociale et générationnelle et se nourrir sainement. Il y avait aussi le respect de l’environnement. Raté quand on voit ces affreux gribouillis !
Rémi s’agite entre les draps jusqu’à ce qu’Elsa allume la lampe.
— Puisqu’on ne trouvera pas le sommeil, autant se lever, soupire-t-elle, je vais préparer un tilleul.

Le lendemain matin, après avoir conduit les enfants à l’école, Elsa s’arrête au Légumier. Armée d’un pinceau et de peinture blanche, elle fait disparaître les lettres assassines avec des gestes pleins de rage. Bientôt, tout est propre et net. Une bonne chose de faite ! s’exclame-t-elle tout en regagnant la ferme.
En pénétrant dans la cour, elle a tout de suite senti le regard de la vieille peser sur sa nuque.
— Vieille sorcière, marmonne-t-elle tout en rinçant ses mains au tuyau. Elle a rien de mieux à faire que de m’épier !
Les jours suivants, aucun mot n’est venu biffer le blanc virginal de la palissade. L’ennemi aurait-il déclaré forfait ? Ou bien le jeu a perdu de son attrait. Il faut dire que les gendarmes ont fait une petite ronde et posé quelques questions restées sans réponse.
Rémi et Elsa ont presqu’oublié l’incident, le travail les occupe du matin au soir, c’est le moment de planter tomates, courgettes et aubergines. Et puis les fèves donnent bien.
Ils n’y ont pas prêté attention, ce sont les enfants qui ont dit que les méchants avaient sali la peinture de maman. De nouvelles lettres, plus pâles, s’étirent sur la surface peinte. Elles proclament : dernier averticement : cé nous qu’on va défoncer le bancroche à la pioche. Elsa parle de badigeonner le message menaçant tandis que Rémi hausse les épaules.
— Ils recommenceront, ça les excite ! Et puis t’as pas mieux à faire qu’à peinturlurer leurs saletés ?

Rémi grimpe sur le tracteur, le démarrage est nerveux. La machine vrombit, il quitte la cour sans un regard pour Elsa. Elle soupire. Se disputer à cause d’une plaisanterie de mauvais goût, quelle stupidité ! Mais elle a bien senti que son homme est irritable depuis l’apparition des menaces. Peut-être ne lui a-t-il pas tout dit ? C’est vrai que les récoltes sont en sursis après les pluies qui ont amené la pourriture. Il faut traiter avec parcimonie en n’utilisant que des produits phytosanitaires compatibles avec le respect de l’environnement. Un vrai jonglage. Pour mériter le label AB pour agriculture biologique, il leur faut proscrire tout produit phytotoxique. Bien sûr, cela demande davantage de travail pour des récoltes moins abondantes qu’en agriculture conventionnelle, mais le jeu en vaut la chandelle. Si on veut arrêter la pollution agricole et laisser une terre nourricière à la future génération, il est indispensable de préserver la vie des sols. Militants, Rémi et Elsa remettent en cause l’industrie chimique, les exploitations agricoles surdimensionnées et la grande distribution. Leur exploitation est petite et ils pratiquent la vente directe sur les marchés locaux. Ceux du Bourg les regardent comme des hippies attardés. Parce qu’ils préfèrent les vêtements en coton, qu’ils refusent les emballages plastiques et sèment des fleurs pour attirer les insectes butineurs ? Mais ils ne gênent personne, alors pourquoi ces mises en garde ? Á moins que...
Elsa se décide à rendre une visite à sa voisine. Après tout, elle aussi est concernée par les menaces, elle habite les terres de la Plaine depuis plus longtemps qu’eux.

La jeune femme s’est armée de courage pour affronter le regard de glace de la vieille. Elle ressent quand même de la pitié pour cette femme solitaire depuis que son fils est parti.
Elle passe loin du chien noir qui aboie en tirant comme un fou sur sa chaîne et toque à la porte. Le vantail s’entrouvre avec parcimonie, laissant apparaître la tête au chignon gris de la vieille. Elsa lance un bonjour hésitant.
La voisine s’efface pour la laisser entrer.
La cuisine sombre sent la cendre froide et le lait aigre. Elsa prend place sur la chaise qu’on lui désigne près d’une grande table recouverte d’une toile cirée craquelée. Cette pièce autrefois a dû résonner du bruit des conversations et de la vaisselle entrechoquée. À présent, elle sue l’abandon. Le regard de la vieille parait moins glacial. Elle semble fourbue, pense la jeune femme en devinant le dos raide, perclus de douleurs à force de se baisser vers la terre. Elle sent ses peurs s’envoler, sa rancœur refluer bien loin.
— C’est pour les gribouillis dans le jardin partagé que vous êtes venue, pas vrai ?
La voix est lasse. Elsa s’engouffre dans la brèche, dit qu’il faut réagir, ils n’ont rien à se reprocher, la terre, elle leur appartient. Pas vrai ? Et s’ils ont décidé de cultiver des légumes bio dans le jardin communautaire, rien ni personne ne pourra les en empêcher.
La vieille acquiesce d’un hochement de tête.
— Ce n’est pas votre méthode de culture qui est en cause. Même si ça jase au Bourg, faut continuer. Depuis que vous êtes là, les oiseaux sont plus nombreux et les papillons, les abeilles sont revenus.
Elsa sourit. Peut-être vont-elles pouvoir s’entendre ?...
La vieille a proposé du café. Elle le sert dans des verres, pose près d’Elsa la boite à sucre avec, sur le couvercle, le Canal du Midi. Tous ces gestes ont interrompu la conversation, on perçoit le vrombissement des mouches. La vieille se rassoit.
— Moi, mes terres sont en fermage, j’ai plus personne pour la ferme. Ma fille et mon gendre travaillent à la ville, ils ne veulent pas être paysans. Et mon fils...
La phrase est restée en suspens tandis qu’elle boit une gorgée de café. Elsa se tait, cette femme solitaire, corsetée dans sa fierté, l’émeut. Si Rémi me voyait ! pense-t-elle, il n’en croirait pas ses yeux, moi qui redoutais tant cette femme à cause de son regard noir.
— Oh ! Vous allez vite comprendre ! s’exclame soudain la vieille en se levant. Elle va vers la porte au fond de la pièce, l’ouvre.
— Paul, viens donc, on a de la visite !
En réponse, un pas rapide dans l’escalier. Un homme apparait dans l’embrasure de la porte. Elsa retient son souffle. Il est laid avec sa tête trop grosse. Il s’avance vers la jeune femme, en claudicant, lui tend une main qu’elle serre en réprimant sa frayeur. Elle s’en veut de sa réticence.
— Paul, c’est notre voisine, elle est venue pour les inscriptions au Légumier. Tu veux bien que je raconte ?
Le garçon hoche la tête, il a un regard de chien battu.
— Paul est mon seul fils. Mon mari mort et ma fille partie, ça signifiait personne pour reprendre la ferme. Mais Paul travaillait comme saisonnier dans les champs. Avec les revenus du fermage, ça m’aidait bien. Jusqu’à l’incident. Un soir, il n’est pas rentré. Au matin, la gendarmerie a appelé. J’y suis allée, j’ai trouvé mon fils soûl comme un âne. Mais il y avait plus grave. Durant la nuit, il était entré dans plusieurs potagers qu’il avait dévastés, arrachant les légumes, piétinant les semis. Ceux du Bourg avaient déposé une plainte contre lui. J’ai réagi aussi sec en déposant une plainte contre X pour abus de faiblesse sur une personne handicapée. Parce qu’il n’y avait aucun doute, Paul avait avoué avoir bu plus que de raison, forcé par ces garnements du Bourg. Ils n’en sont pas restés là. Un soir, ils l’ont attiré dans un endroit isolé pour lui mettre une raclée. Mon Paul est revenu en sang. Bien sûr, on n’a jamais retrouvé les coupables. Le juge a pris la décision de l’éloigner, pour sa protection. On l’a placé dans un CAT. Mais, depuis cette histoire, ceux du Bourg nous détestent davantage. Déjà, quand mon mari est mort, ils ont voulu me racheter la ferme. J’ai refusé. Jamais je ne vendrai à ces vauriens !
La vieille a haussé le ton tandis qu’une lueur sombre anime son regard. Elsa frissonne
— Alors les inscriptions ?...
— Elles sont pour nous.
D’un mouvement du menton, elle désigne son fils dont le visage ingrat s’éclaire d’un sourire enfantin.
— Moi j’bois plus !
Il regarde sa mère, cherchant l’approbation.
— Bien sûr, mon Paul, que tu ne bois plus, manquerait plus que ça !
Elle se tourne vers Elsa
— Le CAT a dû fermer, ils ont renvoyé tous les travailleurs protégés chez eux. Alors, pour l’occuper, je l’ai envoyé travailler au Légumier. Ça s’est su et ce n’est pas du goût de tout le monde, ils ont la rancune tenace au Bourg. Depuis les graffitis, Paul reste enfermé, je ne veux pas qu’il s’éloigne d’ici, ils sont capables de tout.

Elsa a quitté la vieille Angèle et Paul en promettant de revenir. Quand elle retrouve Rémi, il est surpris de sa gaieté soudaine. Elle lui raconte alors sa visite.
— Tu sais, j’ai fait un rapide calcul. Le champ de fèves, il est grand, on ne va pas y arriver à nous deux. Après, il y aura les fraises et puis les légumes d’été, il nous faudra de l’aide. On pourrait prendre Paul, il habite à côté, on n’aura même pas à le loger. Et sa mère serait soulagée de le savoir avec nous.
Pour toute réponse, Rémi prend sa femme par la taille et l’embrasse
— Alors, c’est oui ?
— Comment te résister ? Tu es une vraie sorcière. Qu’il soit un peu tordu, ton Paul, ça me plait bien, c’est comme un légume biscornu, ça ne l’empêche pas d’être bon. Par contre, je pense qu’on va avoir de la lecture, parce que la palissade du jardin partagé, elle n’a pas fini d’être taguée !

Texte de
Régine Bernot, de Frouzins (31), 2020

Tèrra-tremol a Tèrra-Clapièr

Un títol gròs en primièra pagina : « Estranhs ortalièrs dins l'òrt partejat ! »
De qué Lo Jornal d’aicí voliá parlar amb aquela “Tribuna” ? se demandèt lo paire Leon, passionat d’ortalha. « Legir lo reportatge de nòstra enviada especiala en p. 5 » disián, e s’i roncèt sens far cas del demai.
Aquí l’esperava lo jos-títol que lo faguèt encara mai regassar : « Òrt partejat de Tèrra-Clapièr. L’amassada generala extraordinària que manquèt de virar al desastre. »
De mai en mai entrepachat, lo paire Leon se lancèt sus aquel “compte-rendut” sens se dobtar qu’anava cabussar dins un monde meravilhós.

« L’amassada generala extraordinària dels sòcis de l’òrt partejat de Tèrra-Clapièr se tenguèt ièr 31 de març, a las albetas e en tota discrecion, al fins fons del casal del sénher Marcon.
Me cal, cars legeires del Jornal d’aicí, vos presentar los ortalièrs nauts en color d’una amassada nonparièra. D’en primièr, la presidenta, dòna Talpa, que los autres estatjants – tot çò que tròta sus tèrra, puja als arbres o vòla dins l’aire – l’elegiguèron se disent que, pro ocupada a traucar sas galariás, vendriá pas metre lo nas dins lors afars.
A sa gaucha, lo vice-president, un gat qu’aviá pas tròp sa plaça demest d’onèstes ortalièrs, mas que s’èra impausat sens èsser contrariat, ja que cal pas cercar bregas a una arpa lèsta. Pr’aquò, aquel gatàs quitava pas de sorire e qual sap çò qu’amagava aquel aire de dos aires.
Atal lo ratum, mirgas, garris, garris dels camps, griules, darbons e rats talpièrs se tenián a distància, mesfisants, prèstes a s’engulhar dins un trauc, se per cas las causas viravan mal.
A sa man, enfin a sa pata dreita, lo comptable, sénher Eiriç, que sos ponchons li servissián de maquina de calcular, tanplan coma tu e ieu comptam suls nòstres dets.
Dòna Tartuga, ela, qu’arpentava los bancals del casal, fasiá de geomètra, mesurant de sas cambetas cortinòtas l’agre de cadun en cas de contèsta.
Sénher Esquiròl, de son costat, familièr del noguièr e de l’ametlièr, acostumat a prene qualque nautor de vista, fasiá ofici de gaita.
Doblidem pas l’aucelum, sénhers Mèrle, Gag, Colomb, Rossinhòl, Puput, Passerat, dònas Agaça, Linòta, Mesenga, e ne passi – que per se metre a portada dels autres societaris, se tenián a lor nivèl, pausats pel sòl. Aquela gent alada, de costuma ajocada sus una branca, èra pas rassegurada tant qu’aquò. Atal la vièlha agassa Coabassa, qu’aviá un còp escapat tot bèl just a una arpada despietadosa, s’emmantelava cautosament dins sas penas.
Tot aquò barjacava quand la presidenta desvistèt de sos uèlhs tucles una forma femenina que se teniá en defòra del redond, e demandèt al gat que, el, aviá d’uèlhs de catfèr :

— De qu’es aquela creatura ?
— Dòna presidenta, es la premsa, la jornalista del Jornal d’aicí convidada per redigir lo compte-rendut.
— Compreni pas, cresi véser una drolleta, e miniatura encara !
— Mas sabètz ben qu’a engolit la preparacion que lo grapaud n’a lo secrèt per l’apichonir e atal espaurugar pas la companhiá.
— Recuperarà sa talha normala quand tornarà a son comitat de redaccion ?
— Solide ! Li sufirà de rosegar un bocin del campairòl ont es assetada, per la retrobar.
Auretz comprés, onorables legeires, que parlavan de ieu que m’èri efèctivament apichonida, en dintrant en ieu coma un telescòpi. E èri plan pro installada sus un coberlon, a prene de nòtas per rendre compte del problèma grèu que la comunautat tèrra-clapierenca deviá afrontar. Quant a retrobar ma talha, sabiái ben qu’aquò se passava dins los contes, e donc dins la realitat, qu’es un pauc çò mèmes.

— I sèm totes, questionèt la presidenta ?
— Non, faguèt lo gat, manca lo conilh.
— E cossí aquel arlèri, ambe las cambas qu’a, tròba lo biais de far esperar lo monde ?
Aviá pas pus lèu dit aquò qu’arribèt, al brutle e tot afalenat, un lapin blanc, que lancèt un “Adissiatz totes ! – dins un accent so british, perque aviá trobat sul Bon Canton una conilhièra disponibla qu’arrendava – vos prègui de me desencusar, qu’èri fòrt ocupat e vegèri pas passar l’ora, d’autant mai qu’aviái doblidat de remontar ma mòstra” e de tirar d’un borset una d’aquelas mòstras ancianas dichas “ceba”, çò que faguèt levar qualques rifanhadisses :
— Aquò’s per se far remarcar.
— E òc, vòl far l’interessant.
— Coma se podiá pas aver una mòstra connectada, coma tot lo monde !
— Se crei benlèu encara al sègle dètz-e-nòu... aquel original !
Mas çò pus bèl, quand la dòna presidenta, un bocin despacientada, li demandèt :
— E de qué diantre aviatz de tan preissat que vegèretz pas passar l’ora ?
— Soi vertadièrament sorry... perdon... desolat, respectada presidenta, èri afogat a ma darrièra produccion de marmelada d’irange.”
De qu’aviá pas dit ! Levat la missarra que s’èra aconsomida e tressautèt, subran despertada, demandant “De qué vira ?”, totes de bascalar, de s’espotir de rire, segon çò que la natura li aviá donat per aquò far, patas, alas, bèc e ganitèl... E mai s’ausiguèt : “Son calucs aqueles Angleses !”
— Silenci ! bramèt de sa votz escleta la talpa, en tustant la tèrra de sa patassa.
E sortiguèt del sacon que la quitava pas un parelh de clucas que se pausèt sul nas, e agachèt al ròdol d’un aire inquièt per véser qual s’èra permés aquela reflexion inapropriada.
— Silenci ! i tornèt, es pas ora de falordejar ! D’autant qu’avèm aicí la premsa, alara un pauc de tenguda ! E me permetretz de vos rapelar que nòstra pichona societat, rica de sa diversitat, a per fondamenta la convivialitat, condicion del viure ensemble, coma se deu entre personas de bona companhiá .. e patin e cofin...
Als mots de “bona companhiá”, de la gadalesa se passèt a l’estabosiment del costat del ratum, saquejat d’una èrsa d’indignacion :
— Cossí, de bona companhiá, aquel catàs que, ni per sos aires de catamiaula, nos mena guèrra !
— Cala-te ! faguèt una mirgueta a mand de s’estavanir, me parles pas d’aquela òrra creatura !
— Asiri aquela bèstia e mai tota la catuènha, faguèt lo garri dels camps.
Tot aquò a sota-votz, per èsser pas ausit del gat que sorisiá que mai, benlèu perque se disiá que la convivéncia aviá sos limits e qu’un jorn o autre, un d’aqueles rosegaires passariá a saupiquet.

— Bon, i tornèt dòna Talpa quand lo silenci s’establiguèt, e aquí prenguèt un aire important, es mai que ora de passar a l’òrdre del jorn, al punt unenc que nos acampa uèi. E n’i a pas per rire.
Aquí s’alisèt las mostachas, se rasclèt lo ganitèl per escalcir :
— Me cal rapelar, cars societaris, qu’aquel òrt es lo d’En Marcon, proprietari legitim per eiretatge, qu’estàlvia pas sa pena per ne tirar ortalissa e frucha. Alara sèm a pro pena tolerats, coma d’esqüatèrs. Sèm pas que los usufruchièrs, e encara a condicion de passar pas l’òsca...
Aprèp aquela introduccion, se rasclèt tornarmai la garganta e i tornèt :
— Justament, sembla que n’i a aicí que destermenan, e coma sabètz, a fòrça de tibar la còrda peta. Ne disi pas mai e prègui l’esquiròl de nos contar çò qu’a vist e ausit. Sénher Esquiròl, avètz la paraula.
Aquel d’aquí s’avancèt un bocin de tres sautets e se lancèt :
— Òc-ben, dòna presidenta e cars collègas tèrra-clapierencs. L’autre jorn, èri sul noguièr perque sabètz que me congosti, a la sason, de noses e d’avelanas, que ne fau provision per l’ivèrn, e mai se sèm pas encara a la tardor, rai d’aquò, que sauti de branca en branca, ambe la coa en paracasuda, per dire de me téner en forma, puèi...
— Vos copi, faguèt la talpa, al fach, avèm pas de temps a pèrdre a escotar vòstras falordisas !
— A òc, desencusatz-me, donc, ièr delà, èri sus mon ajocador, quand En Marcon venguèt vistalhar sas ortalissas. Per començar, faguèt las ussas en vesent qualques degalhs demest las ensaladas...
Agèt pas léser de ne dire mai, d’unes agaches se virèron cap a la tartuga.
— Vos demandi plan perdon, faguèt ela, un bocin fissada per aquelas agachadas acusairas, lo plantol d’ensalada es dins l’invernacle ; cossí voldriatz que passèssi ieu per dessús lo peiral ambe mon escalha ! Alara que los limaucs, eles, se margan pertot !
Entartugada – es lo cas d’o dire – d’èsser estada sospeitada e confonduda amb aquela traça sens òsses ni clèsc, dintrèt patas e cap dins sa cauquilha, çò qu’es lo biais, per una tartuga, de far lo morre.
— Rai per las ensaladas, faguèt la talpa, contunhatz.
— En Marcon repoteguèt quand avisèt tanben dins la faissa de las carròtas que i aviá pas lo compte, e que d’unas èran a mitat chapadas...
Aquí, pardí, los agaches se virèron devèrs lo lapin blanc que bretonegèt qualques mots per se desencusar. L’amassada notèt tanben que las gautas blancas començavan de rogejar, sens poder saber se veniá de la marmelada d’irange o de la vergonha...
— Velharetz, sens vos comandar, faguèt la talpa, a far pròva de moderacion. E ambe las cambas qu’avètz, vos es pas malaisit d’anar per òrta per diversificar vòstras fonts d’avitalhament.
Lo conilh baissèt las aurelhas en signe d’assentiment, plan content de se’n tirar a bon compte amb aquel conselh amistós.
— Qué mai ? I tornèt la talpa.
— En Marcon, arribat ambe l’andusac sus l’espatla, entreprenguèt d’amassar las patanas, e venguèt roge de colèra quand se mainèt d’un desastre novèl : qualqu’un èra passat abans el, sos trufets èran rosegats, plan sovent ne demorava qu’un bocin de pèl...
Al mot de “rosegats”, totes los agaches, mas d’agaches alucats, rebotits, se virèron aqueste còp cap al rat talpièr amator de patanons novèls.
Aiceste, sens cercar a se desencusar – èra un recidivista –, considerèt qu’èra rostit e flambat, e puslèu que d’èsser liurat a la justícia felina, s’esvaliguèt sens fum ni lum.
Tot aquò aviá plombat l’ambient, e la presidenta, d’una votz mal assegurada :
— Quicòm mai ?
— Òc-ben, dòna presidenta, e me còsta de dire qu’En Marcon manquèt s’escanar de fotra, e de roge passèt a negre coma una... coma un... cossí dire... coma un cuol de padena, quand se mainèt d’unas... d’unes talpairons, enfin d’unas talpinadas qu’avián cambiat son semenadís de rafes en talpierada vertadièra...
Aquí los agaches se virèron cap a dòna Talpa, d’agaches de reprobacion e de consternacion, e la paura d’ela auriá desaparegut jos tèrra, segon sa natura, mas coma presidenta, li caliá ben téner targa :
— Benlèu que me rendi pas totjorn compte ont buti mas bufadas, mas ieu al mens, chapi pas las culhidas del proprietari, me contenti dels vèrmes, e trabalhi, ieu. E tot lo monde vos dirà que la tèrra de talpa, rica de minerals...
Res que de véser l’estabosiment mesclat d’ironia de l’amassada, se mainèt que, als uèlhs de l’ortalièr, davant un semenat degalhat, la tèrra de talpa èra un plan paure argument. E rogeguèt. Cossí rogeguèt, ela qu’es negra coma un talpari, es lo cas d’o dire ? Se pòt pas explicar, mas se vesiá ben que, de la confusion, rogeguèt...
Es alara la tartuga que sortiguèt lo cap per levar lenga :
— Avètz acabat ?
— Ailàs non, faguèt l’esquiròl, ambe un aire de prigonda desolacion, se torcissent las patonas de davant. En Marcon bramèt coma un perdut, que n’aviá un sadolh de passar son temps a noirir de sallas bèstias, qu’èra las de s’esquinaçar a téner una òrta pel profit de las bèstias nosentas, e que podiá pas durar, e que seriá lèu reglat. Tot aquò salpicat d’unas paraulassas que la decéncia me permet pas de raportar aicí...
— Cossí “lèu reglat” ? faguèron d’unas voses inquiètas.
— E ben, d’aqueles bramadisses, reteni de tròces de frasa coma – e l’esquiròl i anèt sens quitar de samucar : “...un tenement... bastir un parelh d’ostals... los arrendaires me raportaràn mai... e sens me crebar... Acabada l’òrta... Lo quitran, lo betum... lo glifosata, los pesticidas... Vas véser un pauc... tot aquò netejat... Al diable, la cacibralha !
Aquelas paraulas i faguèron coma un tèrra-tremol. La pichona societat tèrra-clapierenca sentiguèt lo sòl se desraubar jos pès e patas. E mai se lo sens d’unes mots demorava escur, se vegèt a de bon fòrabandida, caçada de son òrt paradisenc, En Marcon adreitat dins lo ròtle del querubin brandissent l’espasa de fuòc. E plors, gemècs, samucs, guissals e piuladisses seguiguèron, pròvas del desespèr animal mai prigond.

S’enganavan pas d’a fèt, çaquelà. Dins l’intensitat dramatica d’aquel acamp, avián pas avisat una siloeta que, al recès de la randura, s’èra sarrada, lo quite Marcon, vengut ambe l’idèa plan arrestada de far un chaple.
Mas quand te vegèt aquela societat de bestiòtas se costejant e s’endevenent aquí en çò seu, del subte la fotra li passèt ; aguèt subran coma la vision d’un oasi, o per melhor dire d’una arca de Noè que el, lo Marcon de Fabre, se deviá d’aparar per tal que, dins un monde de brutalitge, demorèsse endacòm un palm de paradís.
Atal me parlèt, los uèlhs encara lusents d’aquel imatge de sòmi, quand l’anèri trobar coma qual se passeja sens pensar a res, per li far lo compliment de son òrta...

Mas enfin, me demandaretz, cossí èra estat avisat de la tenguda d’aquel acamp ? I aviá una “talpa” aquí, e aquela “talpa” èra lo gat ! Manjant a totes los rastelièrs, quora onorable societari landrant lo domeni, sens doblidar de cruscar qualque garri jos pretèxt de servici d’òrdre, quora bèstia de l’ostal pagada per sos servicis d’una escudèla de croquetas.
Justament, quand m’enanavi, me trobèri cap e tufa ambe lo gat, ajocat sus una branca. De me véser, faguèt pas que sorire, l’aire plan avenent. Pr’aquò, me mainèri de las arpas longassas e afustadas e de las rengadas de dents ponchudas, e me diguèri que valiá mai lo tractar ambe respècte.
— Sénher Gat, faguèri, e aquí lo gat soriguèt que mai, çò que me metèt en fisança per formular ma requèsta : Sénher Gat, auriatz l’amabilitat d’anar rassegurar los onorables societaris del jardin partejat de Tèrra-clapièr, que las menaças èran pas que de paraulas, mas qu’En Fabre, pietadós, passarà l’esponga suls qualques degalhs que l’emmalicièron ?
— I podètz comptar, me venguèt el, amb un gèst de la pata drecha sul còr.
E s’enanèt en s’escafant dapasset, començant pel cap de la coeta, e en acabant pel sorire que durèt qualque temps aprèp que lo demai del gat agèsse disparegut.
Alara aquel sorire de gat sens gat, en l’aire entre doas brancas de perièr, destacat sus l’azur del cèl, me faguèt l’efièch de l’arcolan d’aprèp lo deluvi, signe de l’aligança del Cèl e de la Tèrra.
E avètz aicí, cars legeires, lo compte-rendut fisèl e vertadièr de tot çò qu’ai vist e ausit d’un acamp d’estranhs ortalièrs. »

Lectura acabada, lo paire Leon demorèt soscaire, entre sòmi e realitat, quand se mainèt que teniá pas en man un libre de contes, mas un jornal : « Los uèlhs te fan bavarilhas o qué ? » L’impression d’aver viatjat dins un monde a l’encòp meravilhós e versemblant èra tan fòrta que tot d’una tornèt a la primièra pagina : òc-ben, èra plan lo Jornal d’aicí, ambe la data, 1èr d’abrial de tant, e aquel títol en letras tan gròssas, e la mencion de l’“enviada especiala”, que semblava se trufar d’el.
« Mas de qu’es aquela pimpanèla que m’a emmascat ambe son conte de Bernat mon oncle ? » se demandèt.
Tornat a la p. 5, fintèt lo nom de l’autora, un pichon nom que li remembrava quicòm, mas qué ? Un simple pichon nom de femna o de drolleta... Alícia !

Tèxte de
Bernat Vernhièras, de Castres (81), 2020


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