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"La nouvelle s'étale en une du journal... Drôles de jardiniers dans le
potager partagé !"
ou
encore :
"Un títol gròs en primièra pagina... Estranhs ortalièrs dins l'òrt
partejat !"
Lire :
-
Monsieur le jounaliste
- Du rififi
dans les salsifis
-
Tèrra-tremol a Tèrra-Clapièr
Ecouter :
-
Las trèvas de l'òrt
de
Jean-Pierre Sanchez, de Saussines (34) - legit per Danís Batut
(grandmercé al blog
http://escambisenoc.org/
que l'a mes en linha)
Monsieur le journaliste
La nouvelle s’étale en une du journal… « Drôles de
jardiniers, dans le potager partagé ! »
C’est un de vos drôles de jardiniers qui vous écrit, monsieur le
journaliste. L’illuminé que vous ridiculisez dans votre article,
l’hurluberlu, l’obsédé. Ah ! Vous en usez du qualificatif fleuri,
monsieur, que j’appelle journaliste, même si je doute que vous méritiez
le titre, mais comme vous ne signez pas votre papier… Oh ! Certes, c’est
facile à comprendre… La vacance estivale, la politique en sommeil, les
acteurs sociaux qui attendent la rentrée, pas de catastrophe ni
d’attentat, pas de célébrité décédée… il faut quand même noircir les
pages du journal en cette fin août, alors pourquoi pas un petit sujet
rigolo, insolite, croustillant ? Oui, pourquoi pas ? Franchement,
monsieur le journaliste, je n’ai rien contre. Mais faut-il pour autant
négliger de vérifier ses sources, prendre pour argent comptant les
racontars, ne pas contacter les acteurs de cet événement et abandonner
l’histoire avant la fin, il est vrai moins drôle ? Faut-il surtout
oublier que, derrière les pantins que vous agitez pour leur faire jouer
un rôle ridicule, il y a des êtres de chair et de sang, qui ont une
famille, des amis, des voisins, des collègues… et qui vont devoir vivre
avec l’infamie que vous leur collez sur le dos ? A vous lire, je n’ai
pas l’impression que tout ceci vous préoccupe beaucoup, monsieur le
journaliste, mais ne vous y trompez pas, je ne suis pas en train
d’exiger un droit de réponse, cette faribole qui ne sert qu’à donner
bonne conscience puisque c’est bien toujours vous qui avez le dernier
mot. Non, j’essaie juste de retracer le déroulement exact des faits,
moins pour vous, qui en ferez bon usage s’il vous reste un fond
d’honnêteté, que pour moi qui pourrai, en la mettant en mots, laisser
plus facilement derrière moi cette histoire.
Voici donc ce qu’il en est. Ce lundi de fin août, en milieu
d’après-midi, j’arrache les pommes de terre que je cultive dans ma
parcelle des jardins partagés. J’ai pour habitude, une fois les
tubercules sortis de terre, de les laisser sécher sur le sol, ce qui
permet ensuite de les rentrer moins terreux. J’en suis à l’arrachage des
derniers pieds quand Alex, mon voisin de jardin, m’interpelle pour
m’annoncer que je vais mouiller ma récolte. Je ne comprends pas. Le ciel
est tout bleu ! Alex pointe alors le doigt vers l’horizon derrière moi.
Je me retourne et découvre une formidable barre noire qui envahit le
ciel à toute vitesse. L’orage s’est préparé sans que je m’en rende
compte. Je me hâte d’ensacher les pommes de terre. Alex vient gentiment
me prêter la main mais nous n’avons pu mettre que trois sacs à l’abri
dans le cabanon quand les premières gouttes nous frappent durement. Le
temps de penser qu’on va prendre la douche et c’est un déluge qui nous
tombe dessus. En quelques secondes nous sommes trempés mais, pour aussi
désagréable que soit ce choc thermique entre la pluie glacée et la peau
chauffée de soleil et de sueur, il est vite anecdotique comparé au
danger qui nous environne. En effet, avec l’orage sont venus les éclairs
et la foudre. Entre le plafond de plus en plus bas et le sol, les
éclairs rebondissent et courent de grillage en grillage, tissant autour
de nous un réseau de fils lumineux qui nous enserrent comme une toile
d’araignée mouvante. Le pétrichor monté du sol chaud sous les premières
gouttes est remplacé par une odeur de soufre. L’air pétille comme
limonade et craquète. Alex, terrorisé, me fait signe qu’il faut quitter
les lieux. C’est ce que nous faisons, quasi en aveugles. Quelques pas et
je le perds de vue. Je ne sais pas comment je sors de ma parcelle ni de
quel côté je vais, totalement désorienté, sonné de vacarme et d’éclairs,
mais soudain mes mains au bout de mes bras tendus rencontrent un mur.
Dans ce mur une ouverture, un porche qui donne accès à la cour d’une
ferme. Sur le côté, un hangar où je me réfugie aussitôt. Me voilà à
l’abri du déluge, mais suis-je vraiment en sécurité ? J’en doute. Les
éclairs s’en donnent à cœur joie dans la cour et je suis à côté de
machines agricoles métalliques. J’essaie de m’en éloigner en gagnant
l’extrémité du hangar quand une main se pose sur mon épaule. Je
sursaute. La fermière est là qui gesticule et parle sans que je
comprenne un mot tant le tonnerre roule sans cesse. Elle me tire vers
l’intérieur.
— Il cherche à se faire griller, l’imbécile heureux ?
Je laisse glisser l’insulte, trop content d’être enfin vraiment à
l’abri. Elle me conduit jusqu’à la cuisine où un feu brûle gentiment
dans une grande cheminée. Une lampe éclaire en pauvre une table de bois
épais. J’ai l’impression d’être dans un décor de film des années
quarante. Tout est sombre, c’est à peine si on distingue les murs.
Machinalement, je tends mes mains vers les flammes.
— Et il croit que c’est comme ça qu’il va
sécher, l’imbécile heureux ! coasse la fermière qui m’ordonne sur le
même ton d’enlever mes habits, de les essorer au-dessus de l’évier avant
de les mettre à sécher sur le manche à balai qu’elle pose entre deux
chaises devant le feu.
Redevenu petit garçon gourmandé, j’obtempère. En slip dans cette cuisine
inconnue, devant une étrangère, je me sens aussi à l’aise qu’un timide à
une orgie. Il est donc hors de question que j’enlève ce dernier rempart
à ma pudeur. La fermière se moque mais va quand même récupérer pour moi
un peignoir de bain rouge sang et une serviette. Tout nu dans ce
vêtement qui en contiendrait trois comme moi, je me sèche quand la porte
d’un placard qui occupe tout le mur du fond s’ouvre en grinçant. En sort
une petite vieille en forme de criquet noir qui demande d’une voix de
crécelle si c’est Eugène qui vient de rentrer.
— Non, bonne maman, on vous préviendra, rentrez dans le placard,
grignotez un biscuit !
Et la vieille rentre aussitôt dans son réduit et moi je me demande si
j’ai bien vu ce que je viens de voir quand la porte donnant directement
sur la cour s’ouvre soudain. Entre un pêcheur d’Islande, tout de ciré
jaune vêtu.
—
Bon sang, qu’est-ce qu’il tombe ! Tous les anges sont sortis faire pipi
en même temps ! Mais les petites sont à l’abri, ça va.
Il se débarrasse de ses vêtements de pluie en les laissant tomber dans
un baquet puis, à peine vêtu d’un short informe et d’une chemise ouverte
sur plus de poils qu’il n’en faut à un honnête homme, ce géant
s’approche de la fermière, qui dit qu’elle commençait à s’inquiéter, et
l’embrasse goulûment. Baiser profond qui ne me semble pas avoir pour but
de rassurer. La mémé sort à nouveau du placard, demande si c’est Eugène
et, comme on lui dit que ce n’est pas Eugène, se renferme. Le pêcheur
d’Islande s’approche alors de moi, pointe un doigt plus gros que mon
avant-bras sur mon sternum et demande à la fermière ce qu’elle fabrique
avec un homme tout nu dans la cuisine. Je n’ai pas le temps d’amorcer
une explication qu’un éclair plus intense coupe la lumière. Uniquement
éclairés par les braises de l’âtre, nous baignons dans un clair-obscur
très pictural que je n’ai guère le loisir d’apprécier car la porte
s’ouvre à nouveau et entre un second pêcheur d’Islande, exactement
semblable au premier.
— Bon sang, qu’est-ce qu’il tombe !
Tous les anges ont plongé en même temps et la piscine déborde, mais ça
va, les petits sont à l’abri.
Je me demande qui sont ces petits et petites que ces pêcheurs d’Islande
terrestres réussissent à mettre à l’abri tandis que le nouveau venu ôte
son ciré et s’en vient, comme le premier, embrasser ardemment la
fermière qui commençait à s’inquiéter. Je m’attends à ce qu’il vienne me
menacer tout en demandant ce que je fais là tout nu, et je m’attends
aussi à une sortie de la mémé criquet quand j’aperçois par la vitre de
la porte d’entrée, dans la danse folle des éclairs qui sillonnent la
cour, deux fillettes qui se tiennent par la main. Je crie. Je tends le
bras. Tout le monde regarde dans la direction. J’en étais sûre,
dit la fermière. Affolé, je dis qu’il faut les faire entrer, les
mettre à l’abri. Les jumeaux d’Islande regardent, figés, sans rien
faire, émus aux larmes, tandis que la fermière, à voix basse, consent à
m’expliquer que ces petites sont les grands-tantes des jumeaux, qu’elles
ont été foudroyées un demi-siècle plus tôt et que, chaque fois que
l’orage se déchaîne, elles reparaissent à l’endroit où la foudre les a
tuées. Eberlué, je constate que leurs cheveux et leurs vêtements, qui
devraient coller au corps sous ce déluge, flottent sur leurs épaules et
autour d’elles, mus par une légère brise. Quand un nouvel éclair emporte
ce surprenant hologramme, les hommes essuient une larme. C’est alors
que, rompant ce charme macabre, un choc sourd à l’étage nous fait lever
la tête. Une porte s’ouvre en haut, suivie d’une cavalcade dans
l’escalier. Déboule un adolescent tout en jambe, déguisé en soldat de
quatorze.
—
Mémé, c’est moi, Eugène, je suis revenu !
La mémé sort aussitôt du placard, les adultes sourient. Elle s’approche,
attrape l’adolescent par l’improbable capote pour le pencher vers elle
et mieux le voir.
— Hé, oui, c’est toi.
Alors qu’il confirme en se retenant de rire, elle lui balance une gifle
qui lui retourne la tête.
— Tu n’es pas digne de confiance, Eugène ! Quand on dit qu’on revient au
plus tôt, on n’attend pas soixante ans pour le faire. Retourne te
promener sur ton Chemin des Dames, avec ces grues qui t’intéressent plus
que moi !
Et elle s’enferme sans plus attendre dans son placard. Tout le monde
rigole, sauf le gamin qui se tient la joue. La mémé criquet entrebâille
à nouveau la porte pour accuser les adultes de vivre sur sa pension de
veuve de guerre depuis soixante ans et de n’être même pas capables de la
fournir correctement en biscuits.
Gêné d’être témoin de cette scène domestique, je me tourne vers l’âtre
juste au moment où une boule de feu tombe de la cheminée, rebondit et
part à l’horizontale. Le souffle qu’elle engendre m’arrache le peignoir
aussi facilement qu’une bourrasque retourne un parapluie et me propulse
à travers la pièce. C’est le mur d’en face qui m’arrête et m’assomme.
Mon corps inerte et nu y glisse jusqu’au sol où il ne peut que gésir.
Je ne reprendrai pleinement conscience que quarante-huit heures plus
tard, à l’hôpital. J’apprendrai alors qu’on peut être foudroyé et
survivre. Mais en réchapper sans séquelles, comme c’est mon cas, même si
certains dans mon entourage s’amusent à en douter, est rarissime. J’ai
des brûlures aux pieds et aux mains, ce qui me vaut le surnom de Jésus
de la part de ma facétieuse petite dernière, mais je suis sûr que ces
stigmates ne resteront pas longtemps sur le mécréant que je suis.
L’autre conséquence passagère de ce coup de foudre, c’est que mon
cerveau, qui n’a pas grillé sous cette formidable poussée de tension
mais a quand même été en surchauffe, m’a fait délirer deux jours durant.
Et délirer à haute et intelligible voix. Tout l’hôpital est passé voir
et entendre ce patient à mi-chemin entre conscience et inconscience qui
parlait sans arrêt, tel un prédicateur possédé. Quelqu’un a eu l’idée de
m’enregistrer, ce qui m’a permis, une fois tout rentré dans l’ordre, de
prendre connaissance de ces délires dont je ne me souvenais pas. Vous
venez de lire le premier d’entre eux, le plus raisonnable. Les suivants
ayant besoin d’un carré blanc tant j’ai eu le coup de foudre torride.
Vous comprenez bien, monsieur le journaliste, que ce n’est pas dans la
cuisine de cette ferme virtuelle que j’ai été foudroyé. Il n’y a pas de
ferme près des jardins partagés. Même si vous n’êtes pas allé voir, vous
le savez. C’est juste mon délire qui l’a créée. Délire déclenché par la
foudre qui m’a bel et bien frappé, mais dans ma parcelle, près d’Alex,
qui lui aussi a survécu, qui lui aussi a vu ses habits d’été arrachés et
s’est retrouvé à terre, aussi nu que moi, sans comprendre ce qui
arrivait.
Alors non, monsieur le journaliste, nous ne sommes pas deux petits
tordus qui ont cru malin, afin de préserver leurs habits de la pluie,
d’arracher les pommes de terre tout nus. Nous ne sommes pas non plus
deux hippies attardés, célébrant à leur manière les cinquante ans de
Woodstock, en se roulant sans vêtements dans la boue, comme certains
l’ont fait lors du fameux festival. Et nous ne sommes évidemment pas
deux obsédés sexuels aux mœurs particulières se livrant à des ébats
obscènes sous l’orage. (Quand je relis cette phrase je me demande
comment vous avez pu l’écrire sans que la honte vous submerge, monsieur
le journaliste !)
Il a fallu la patience de ma famille, les témoignages du voisin qui a
donné l’alerte, des pompiers qui nous ont secourus, du personnel
hospitalier et l’écoute attentive de l’enregistrement de ma logorrhée
pour que ma mémoire peu à peu reconstitue le drame et me permette de
faire le tri entre mes délires et la réalité. Tri que vous n’avez
manifestement pas fait de votre côté entre amusement et respect.
Aujourd’hui, je sais où j’en suis. Je ne peux pas dire que vous m’avez
aidé à m’y retrouver, monsieur le journaliste.
Voilà, c’est tout ce que le drôle de jardinier, l’obsédé,
l’hurluberlu, l’illuminé et j’en passe, avait à vous dire. Et,
contrairement à vous, monsieur le journaliste, je signe.
Texte
de Serge Calmels, d'Argelès sur Mer (66), 2020
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Du rififi dans
les salsifis
La nouvelle s’étale en une du journal… « Drôles de jardiniers
dans le potager partagé ! » Elsa soupire en repoussant le
quotidien. Encore cette histoire de graffitis dans le jardin
communautaire. Du rififi dans les salsifis ! L’échotier se
gausse de ces plaisantins de jardiniers et de leurs vers de
mirliton. L’imbécile ! Il ferait mieux d’écrire sur la
disparition des oiseaux dans les campagnes, s’agace Elsa qui
s’est tant investie dans ce projet de potager partagé baptisé Le
légumier.
L’idée du jardin communautaire était née d’une rencontre entre
quelques néoruraux et les habitants des Plaines, là où se sont
construits les logements sociaux. Sur un terrain prêté par la
mairie, on avait défriché quelques parcelles pour y planter des
légumes. Elsa et Rémi avaient aidé au démarrage en offrant des
semences assorties de conseils aux jardiniers amateurs. Au
Légumier, on ne cultivait que du bio et Rémi, ça le connaissait,
lui qui pratiquait le maraîchage sans pesticides ni engrais de
synthèse.
Des écharpes de brume volent dans le matin humide. Pour ne pas
réveiller Elsa et les enfants, Rémi prend son café brûlant dans
la cour de la ferme. La voisine est déjà levée : la vieille
apparaît dans l’encadrement de la fenêtre, comme chaque fois
qu’elle entend du bruit dans la cour. Son regard est farouche.
Elle effraye même les enfants.
Rémi enfourche son vélo et prend la route de ses champs qui
passe devant le jardin partagé. C’est en longeant la palissade
qu’il aperçoit de nouvelles inscriptions maladroitement tracées
à la peinture noire sur les murs de planche des cabanons et des
clôtures. Ça recommence ! Qui peut écrire ça ? Rémi est
vaguement inquiet. Et le texte qui se forme jour après jour
évoque ce matin les terres de la Plaine qu’une poignée
d’agriculteurs, dont Rémi qui a converti son exploitation
maraîchère en culture biologique, cultivent.
Au début, Rémi a cru à un jeu de gamins et il a souri en
déchiffrant La mâche se cache, les pommes de terre se
terrent, les petits pois sont aux abois. Sur un cabanon,
s’étalait en lettres grasses : Tu assassines l’aubergine, tu
maltraites la courgette, tu éclates la tomate.
La plupart des jeunes du village ne trouvent pas de travail.
Désœuvrés entre deux boulots saisonniers, ils font des bêtises.
Mais ce matin, c’est du sérieux. On ne rigole plus avec La
pastèque est patraque, le cornichon moribond et les oignons ont
pris des gnons. Les mots tracés sans soin à la bombe
proclament : Foutez le camp, le Bourg veut pas les rebuts de
la Plaine.
Cette fois, Rémi s’inquiète. Et puis, il y a eu le vol de la
poule, une bonne pondeuse. On n’avait retrouvé que quelques
plumes éparses, le renard avait sûrement deux jambes. Rémi a
promis un chien, un gros qui saura tenir à distance les voleurs.
Elsa n’a pas voulu effrayer les enfants, elle leur a raconté que
la poule rousse, elle était partie pondre dans la mousse, comme
dans la comptine qu’elle leur fredonne au coucher.
Ce ne sont plus des jeux d’enfants, plutôt un avertissement. Au
lieu de rejoindre ses champs, Rémi descend la route en direction
de la gendarmerie.
Un gendarme débonnaire a pris sa déposition en promettant
d’aller faire un tour pour relever les inscriptions, mais Rémi a
bien compris qu’il se moquait bien de son histoire. Tracer sur
les planches de légumes : la laitue est foutue, la scarole
s’est pris une torgnole ne constitue pas un délit au regard
de la loi. Si ça se trouve, le fils du fonctionnaire fréquente
cette bande de vauriens. Ils trainent dans les champs tard le
soir et s’amusent à écrire leurs vers de mirliton : Le
bourreau des poireaux fout la trouille au fenouil. Rémi a
souvent pesté contre eux en ramassant leurs mégots et leurs
canettes de bière. La lisière de son champ de courges a leur
prédilection, sans doute parce qu’un bosquet les dissimule
lorsqu’ils roulent leurs joints en écoutant leur musique de
sauvage.
Quand il s’est allongé près d’elle dans le grand lit en noyer,
Elsa a senti que son homme lui cachait quelque chose. Elle a un
don pour deviner ces ruminations. Et elle le questionne jusqu’à
ce qu’il se confie. Mais Elsa ne croit pas à la culpabilité des
jeunes.
— Souviens-toi quand t’avais leur âge ! Tu n’avais pas envie que
les vieux t’enquiquinent, non ? Ben c’est pareil pour eux.
Pourquoi iraient-ils se faire remarquer alors qu’on les laisse
fumer leur pétard tranquille !
— Mais qui alors ?
Elle chuchote pour ne pas réveiller les enfants.
— Pose-toi la question : à qui profite le crime ? Il y a des
envieux qui aimeraient nous voir déguerpir. Ils n’aiment pas
notre façon de faire pousser les légumes. Pour eux, nous sommes
les tortionnaires des pommes de terre !
Rémi fait défiler dans sa tête tous les gens qui lui sont
hostiles. Il n’y en a pas tant que ça. La distance méfiante des
débuts s’est muée en respect, même si les vieux paysans restent
sur leur réserve. Il peut les comprendre, la terre, ça se
mérite, surtout quand on n’est pas issu du pays. Et, pour ne
rien arranger, il ne cultive pas comme eux, refusant par là le
savoir des anciens. L’agriculture biologique, ici on s’en méfie.
Encore un truc des gens de la ville pour les appauvrir, parce
que les rendements du bio !... Et le jardin partagé, qu’a-t-il à
voir dans tout ça ? L’idée de départ, c’était de créer du lien
social entre les habitants du village et les nouveaux arrivants
qui ont investi les quartiers neufs de la Plaine. L’idée était
belle, favoriser une mixité sociale et générationnelle et se
nourrir sainement. Il y avait aussi le respect de
l’environnement. Raté quand on voit ces affreux gribouillis !
Rémi s’agite entre les draps jusqu’à ce qu’Elsa allume la lampe.
— Puisqu’on ne trouvera pas le sommeil, autant se lever,
soupire-t-elle, je vais préparer un tilleul.
Le lendemain matin, après avoir conduit les enfants à l’école,
Elsa s’arrête au Légumier. Armée d’un pinceau et de peinture
blanche, elle fait disparaître les lettres assassines avec des
gestes pleins de rage. Bientôt, tout est propre et net. Une
bonne chose de faite ! s’exclame-t-elle tout en regagnant la
ferme.
En pénétrant dans la cour, elle a tout de suite senti le regard
de la vieille peser sur sa nuque.
— Vieille sorcière, marmonne-t-elle tout en rinçant ses mains au
tuyau. Elle a rien de mieux à faire que de m’épier !
Les jours suivants, aucun mot n’est venu biffer le blanc
virginal de la palissade. L’ennemi aurait-il déclaré forfait ?
Ou bien le jeu a perdu de son attrait. Il faut dire que les
gendarmes ont fait une petite ronde et posé quelques questions
restées sans réponse.
Rémi et Elsa ont presqu’oublié l’incident, le travail les occupe
du matin au soir, c’est le moment de planter tomates, courgettes
et aubergines. Et puis les fèves donnent bien.
Ils n’y ont pas prêté attention, ce sont les enfants qui ont dit
que les méchants avaient sali la peinture de maman. De nouvelles
lettres, plus pâles, s’étirent sur la surface peinte. Elles
proclament : dernier averticement : cé nous qu’on va défoncer
le bancroche à la pioche. Elsa parle de badigeonner le
message menaçant tandis que Rémi hausse les épaules.
— Ils recommenceront, ça les excite ! Et puis t’as pas mieux à
faire qu’à peinturlurer leurs saletés ?
Rémi grimpe sur le tracteur, le démarrage est nerveux. La
machine vrombit, il quitte la cour sans un regard pour Elsa.
Elle soupire. Se disputer à cause d’une plaisanterie de mauvais
goût, quelle stupidité ! Mais elle a bien senti que son homme
est irritable depuis l’apparition des menaces. Peut-être ne lui
a-t-il pas tout dit ? C’est vrai que les récoltes sont en sursis
après les pluies qui ont amené la pourriture. Il faut traiter
avec parcimonie en n’utilisant que des produits phytosanitaires
compatibles avec le respect de l’environnement. Un vrai
jonglage. Pour mériter le label AB pour agriculture biologique,
il leur faut proscrire tout produit phytotoxique. Bien sûr, cela
demande davantage de travail pour des récoltes moins abondantes
qu’en agriculture conventionnelle, mais le jeu en vaut la
chandelle. Si on veut arrêter la pollution agricole et laisser
une terre nourricière à la future génération, il est
indispensable de préserver la vie des sols. Militants, Rémi et
Elsa remettent en cause l’industrie chimique, les exploitations
agricoles surdimensionnées et la grande distribution. Leur
exploitation est petite et ils pratiquent la vente directe sur
les marchés locaux. Ceux du Bourg les regardent comme des
hippies attardés. Parce qu’ils préfèrent les vêtements en coton,
qu’ils refusent les emballages plastiques et sèment des fleurs
pour attirer les insectes butineurs ? Mais ils ne gênent
personne, alors pourquoi ces mises en garde ? Á moins que...
Elsa se décide à rendre une visite à sa voisine. Après tout,
elle aussi est concernée par les menaces, elle habite les terres
de la Plaine depuis plus longtemps qu’eux.
La jeune femme s’est armée de courage pour affronter le regard
de glace de la vieille. Elle ressent quand même de la pitié pour
cette femme solitaire depuis que son fils est parti.
Elle passe loin du chien noir qui aboie en tirant comme un fou
sur sa chaîne et toque à la porte. Le vantail s’entrouvre avec
parcimonie, laissant apparaître la tête au chignon gris de la
vieille. Elsa lance un bonjour hésitant.
La voisine s’efface pour la laisser entrer.
La cuisine sombre sent la cendre froide et le lait aigre. Elsa
prend place sur la chaise qu’on lui désigne près d’une grande
table recouverte d’une toile cirée craquelée. Cette pièce
autrefois a dû résonner du bruit des conversations et de la
vaisselle entrechoquée. À présent, elle sue l’abandon. Le regard
de la vieille parait moins glacial. Elle semble fourbue, pense
la jeune femme en devinant le dos raide, perclus de douleurs à
force de se baisser vers la terre. Elle sent ses peurs
s’envoler, sa rancœur refluer bien loin.
— C’est pour les gribouillis dans le jardin partagé que vous
êtes venue, pas vrai ?
La voix est lasse. Elsa s’engouffre dans la brèche, dit qu’il
faut réagir, ils n’ont rien à se reprocher, la terre, elle leur
appartient. Pas vrai ? Et s’ils ont décidé de cultiver des
légumes bio dans le jardin communautaire, rien ni personne ne
pourra les en empêcher.
La vieille acquiesce d’un hochement de tête.
— Ce n’est pas votre méthode de culture qui est en cause. Même
si ça jase au Bourg, faut continuer. Depuis que vous êtes là,
les oiseaux sont plus nombreux et les papillons, les abeilles
sont revenus.
Elsa sourit. Peut-être vont-elles pouvoir s’entendre ?...
La vieille a proposé du café. Elle le sert dans des verres, pose
près d’Elsa la boite à sucre avec, sur le couvercle, le Canal du
Midi. Tous ces gestes ont interrompu la conversation, on perçoit
le vrombissement des mouches. La vieille se rassoit.
— Moi, mes terres sont en fermage, j’ai plus personne pour la
ferme. Ma fille et mon gendre travaillent à la ville, ils ne
veulent pas être paysans. Et mon fils...
La phrase est restée en suspens tandis qu’elle boit une gorgée
de café. Elsa se tait, cette femme solitaire, corsetée dans sa
fierté, l’émeut. Si Rémi me voyait ! pense-t-elle, il
n’en croirait pas ses yeux, moi qui redoutais tant cette femme à
cause de son regard noir.
— Oh ! Vous allez vite comprendre ! s’exclame soudain la vieille
en se levant. Elle va vers la porte au fond de la pièce,
l’ouvre.
— Paul, viens donc, on a de la visite !
En réponse, un pas rapide dans l’escalier. Un homme apparait
dans l’embrasure de la porte. Elsa retient son souffle. Il est
laid avec sa tête trop grosse. Il s’avance vers la jeune femme,
en claudicant, lui tend une main qu’elle serre en réprimant sa
frayeur. Elle s’en veut de sa réticence.
— Paul, c’est notre voisine, elle est venue pour les
inscriptions au Légumier. Tu veux bien que je raconte ?
Le garçon hoche la tête, il a un regard de chien battu.
— Paul est mon seul fils. Mon mari mort et ma fille partie, ça
signifiait personne pour reprendre la ferme. Mais Paul
travaillait comme saisonnier dans les champs. Avec les revenus
du fermage, ça m’aidait bien. Jusqu’à l’incident. Un soir, il
n’est pas rentré. Au matin, la gendarmerie a appelé. J’y suis
allée, j’ai trouvé mon fils soûl comme un âne. Mais il y avait
plus grave. Durant la nuit, il était entré dans plusieurs
potagers qu’il avait dévastés, arrachant les légumes, piétinant
les semis. Ceux du Bourg avaient déposé une plainte contre lui.
J’ai réagi aussi sec en déposant une plainte contre X pour abus
de faiblesse sur une personne handicapée. Parce qu’il n’y avait
aucun doute, Paul avait avoué avoir bu plus que de raison, forcé
par ces garnements du Bourg. Ils n’en sont pas restés là. Un
soir, ils l’ont attiré dans un endroit isolé pour lui mettre une
raclée. Mon Paul est revenu en sang. Bien sûr, on n’a jamais
retrouvé les coupables. Le juge a pris la décision de
l’éloigner, pour sa protection. On l’a placé dans un CAT. Mais,
depuis cette histoire, ceux du Bourg nous détestent davantage.
Déjà, quand mon mari est mort, ils ont voulu me racheter la
ferme. J’ai refusé. Jamais je ne vendrai à ces vauriens !
La vieille a haussé le ton tandis qu’une lueur sombre anime son
regard. Elsa frissonne
— Alors les inscriptions ?...
— Elles sont pour nous.
D’un mouvement du menton, elle désigne son fils dont le visage
ingrat s’éclaire d’un sourire enfantin.
— Moi j’bois plus !
Il regarde sa mère, cherchant l’approbation.
— Bien sûr, mon Paul, que tu ne bois plus, manquerait plus que
ça !
Elle se tourne vers Elsa
— Le CAT a dû fermer, ils ont renvoyé tous les travailleurs
protégés chez eux. Alors, pour l’occuper, je l’ai envoyé
travailler au Légumier. Ça s’est su et ce n’est pas du goût de
tout le monde, ils ont la rancune tenace au Bourg. Depuis les
graffitis, Paul reste enfermé, je ne veux pas qu’il s’éloigne
d’ici, ils sont capables de tout.
Elsa a quitté la vieille Angèle et Paul en promettant de
revenir. Quand elle retrouve Rémi, il est surpris de sa gaieté
soudaine. Elle lui raconte alors sa visite.
— Tu sais, j’ai fait un rapide calcul. Le champ de fèves, il est
grand, on ne va pas y arriver à nous deux. Après, il y aura les
fraises et puis les légumes d’été, il nous faudra de l’aide. On
pourrait prendre Paul, il habite à côté, on n’aura même pas à le
loger. Et sa mère serait soulagée de le savoir avec nous.
Pour toute réponse, Rémi prend sa femme par la taille et
l’embrasse
— Alors, c’est oui ?
— Comment te résister ? Tu es une vraie sorcière. Qu’il soit un
peu tordu, ton Paul, ça me plait bien, c’est comme un légume
biscornu, ça ne l’empêche pas d’être bon. Par contre, je pense
qu’on va avoir de la lecture, parce que la palissade du jardin
partagé, elle n’a pas fini d’être taguée !
Texte de
Régine Bernot, de Frouzins (31), 2020
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Tèrra-tremol a
Tèrra-Clapièr
Un títol gròs en primièra
pagina : « Estranhs ortalièrs dins l'òrt partejat ! »
De qué Lo Jornal d’aicí voliá parlar amb aquela “Tribuna” ? se
demandèt lo paire Leon, passionat d’ortalha. « Legir lo
reportatge de nòstra enviada especiala en p. 5 » disián, e
s’i roncèt sens far cas del demai.
Aquí l’esperava lo jos-títol que lo faguèt encara mai regassar :
« Òrt partejat de Tèrra-Clapièr. L’amassada generala
extraordinària que manquèt de virar al desastre. »
De mai en mai entrepachat, lo paire Leon se lancèt sus aquel
“compte-rendut” sens se dobtar qu’anava cabussar dins un monde
meravilhós.
« L’amassada generala extraordinària dels sòcis de l’òrt
partejat de Tèrra-Clapièr se tenguèt ièr 31 de març, a las
albetas e en tota discrecion, al fins fons del casal del sénher
Marcon.
Me cal, cars legeires del Jornal d’aicí, vos presentar
los ortalièrs nauts en color d’una amassada nonparièra. D’en
primièr, la presidenta, dòna Talpa, que los autres estatjants –
tot çò que tròta sus tèrra, puja als arbres o vòla dins l’aire –
l’elegiguèron se disent que, pro ocupada a traucar sas galariás,
vendriá pas metre lo nas dins lors afars.
A sa gaucha, lo vice-president, un gat qu’aviá pas tròp sa plaça
demest d’onèstes ortalièrs, mas que s’èra impausat sens èsser
contrariat, ja que cal pas cercar bregas a una arpa lèsta.
Pr’aquò, aquel gatàs quitava pas de sorire e qual sap çò qu’amagava
aquel aire de dos aires.
Atal lo ratum, mirgas, garris, garris dels camps, griules,
darbons e rats talpièrs se tenián a distància, mesfisants,
prèstes a s’engulhar dins un trauc, se per cas las causas
viravan mal.
A sa man, enfin a sa pata dreita, lo comptable, sénher Eiriç,
que sos ponchons li servissián de maquina de calcular, tanplan
coma tu e ieu comptam suls nòstres dets.
Dòna Tartuga, ela, qu’arpentava los bancals del casal, fasiá de
geomètra, mesurant de sas cambetas cortinòtas l’agre de cadun en
cas de contèsta.
Sénher Esquiròl, de son costat, familièr del noguièr e de l’ametlièr,
acostumat a prene qualque nautor de vista, fasiá ofici de gaita.
Doblidem pas l’aucelum, sénhers Mèrle, Gag, Colomb, Rossinhòl,
Puput, Passerat, dònas Agaça, Linòta, Mesenga, e ne passi – que
per se metre a portada dels autres societaris, se tenián a lor
nivèl, pausats pel sòl. Aquela gent alada, de costuma ajocada
sus una branca, èra pas rassegurada tant qu’aquò. Atal la vièlha
agassa Coabassa, qu’aviá un còp escapat tot bèl just a una
arpada despietadosa, s’emmantelava cautosament dins sas penas.
Tot aquò barjacava quand la presidenta desvistèt de sos uèlhs
tucles una forma femenina que se teniá en defòra del redond, e
demandèt al gat que, el, aviá d’uèlhs de catfèr :
— De qu’es aquela creatura ?
— Dòna presidenta, es la premsa, la jornalista del Jornal d’aicí
convidada per redigir lo compte-rendut.
— Compreni pas, cresi véser una drolleta, e miniatura encara !
— Mas sabètz ben qu’a engolit la preparacion que lo grapaud n’a
lo secrèt per l’apichonir e atal espaurugar pas la companhiá.
— Recuperarà sa talha normala quand tornarà a son comitat de
redaccion ?
— Solide ! Li sufirà de rosegar un bocin del campairòl ont es
assetada, per la retrobar.
Auretz comprés, onorables legeires, que parlavan de ieu que m’èri
efèctivament apichonida, en dintrant en ieu coma un telescòpi. E
èri plan pro installada sus un coberlon, a prene de nòtas per
rendre compte del problèma grèu que la comunautat tèrra-clapierenca
deviá afrontar. Quant a retrobar ma talha, sabiái ben qu’aquò se
passava dins los contes, e donc dins la realitat, qu’es un pauc
çò mèmes.
— I sèm totes, questionèt la presidenta ?
— Non, faguèt lo gat, manca lo conilh.
— E cossí aquel arlèri, ambe las cambas qu’a, tròba lo biais de
far esperar lo monde ?
Aviá pas pus lèu dit aquò qu’arribèt, al brutle e tot afalenat,
un lapin blanc, que lancèt un “Adissiatz totes ! – dins un
accent so british, perque aviá trobat sul Bon Canton una
conilhièra disponibla qu’arrendava – vos prègui de me desencusar,
qu’èri fòrt ocupat e vegèri pas passar l’ora, d’autant mai qu’aviái
doblidat de remontar ma mòstra” e de tirar d’un borset una d’aquelas
mòstras ancianas dichas “ceba”, çò que faguèt levar qualques
rifanhadisses :
— Aquò’s per se far remarcar.
— E òc, vòl far l’interessant.
— Coma se podiá pas aver una mòstra connectada, coma tot lo
monde !
— Se crei benlèu encara al sègle dètz-e-nòu... aquel original !
Mas çò pus bèl, quand la dòna presidenta, un bocin despacientada,
li demandèt :
— E de qué diantre aviatz de tan preissat que vegèretz pas
passar l’ora ?
— Soi vertadièrament sorry... perdon... desolat, respectada
presidenta, èri afogat a ma darrièra produccion de marmelada d’irange.”
De qu’aviá pas dit ! Levat la missarra que s’èra aconsomida e
tressautèt, subran despertada, demandant “De qué vira ?”, totes
de bascalar, de s’espotir de rire, segon çò que la natura li
aviá donat per aquò far, patas, alas, bèc e ganitèl... E mai s’ausiguèt
: “Son calucs aqueles Angleses !”
— Silenci ! bramèt de sa votz escleta la talpa, en tustant la
tèrra de sa patassa.
E sortiguèt del sacon que la quitava pas un parelh de clucas que
se pausèt sul nas, e agachèt al ròdol d’un aire inquièt per
véser qual s’èra permés aquela reflexion inapropriada.
— Silenci ! i tornèt, es pas ora de falordejar ! D’autant qu’avèm
aicí la premsa, alara un pauc de tenguda ! E me permetretz de
vos rapelar que nòstra pichona societat, rica de sa diversitat,
a per fondamenta la convivialitat, condicion del viure ensemble,
coma se deu entre personas de bona companhiá .. e patin e cofin...
Als mots de “bona companhiá”, de la gadalesa se passèt a l’estabosiment
del costat del ratum, saquejat d’una èrsa d’indignacion :
— Cossí, de bona companhiá, aquel catàs que, ni per sos aires de
catamiaula, nos mena guèrra !
— Cala-te ! faguèt una mirgueta a mand de s’estavanir, me parles
pas d’aquela òrra creatura !
— Asiri aquela bèstia e mai tota la catuènha, faguèt lo garri
dels camps.
Tot aquò a sota-votz, per èsser pas ausit del gat que sorisiá
que mai, benlèu perque se disiá que la convivéncia aviá sos
limits e qu’un jorn o autre, un d’aqueles rosegaires passariá a
saupiquet.
— Bon, i tornèt dòna Talpa quand lo silenci s’establiguèt, e
aquí prenguèt un aire important, es mai que ora de passar a l’òrdre
del jorn, al punt unenc que nos acampa uèi. E n’i a pas per
rire.
Aquí s’alisèt las mostachas, se rasclèt lo ganitèl per escalcir
:
— Me cal rapelar, cars societaris, qu’aquel òrt es lo d’En
Marcon, proprietari legitim per eiretatge, qu’estàlvia pas sa
pena per ne tirar ortalissa e frucha. Alara sèm a pro pena
tolerats, coma d’esqüatèrs. Sèm pas que los usufruchièrs, e
encara a condicion de passar pas l’òsca...
Aprèp aquela introduccion, se rasclèt tornarmai la garganta e i
tornèt :
— Justament, sembla que n’i a aicí que destermenan, e coma
sabètz, a fòrça de tibar la còrda peta. Ne disi pas mai e prègui
l’esquiròl de nos contar çò qu’a vist e ausit. Sénher Esquiròl,
avètz la paraula.
Aquel d’aquí s’avancèt un bocin de tres sautets e se lancèt :
— Òc-ben, dòna presidenta e cars collègas tèrra-clapierencs.
L’autre jorn, èri sul noguièr perque sabètz que me congosti, a
la sason, de noses e d’avelanas, que ne fau provision per l’ivèrn,
e mai se sèm pas encara a la tardor, rai d’aquò, que sauti de
branca en branca, ambe la coa en paracasuda, per dire de me
téner en forma, puèi...
— Vos copi, faguèt la talpa, al fach, avèm pas de temps a pèrdre
a escotar vòstras falordisas !
— A òc, desencusatz-me, donc, ièr delà, èri sus mon ajocador,
quand En Marcon venguèt vistalhar sas ortalissas. Per començar,
faguèt las ussas en vesent qualques degalhs demest las ensaladas...
Agèt pas léser de ne dire mai, d’unes agaches se virèron cap a
la tartuga.
— Vos demandi plan perdon, faguèt ela, un bocin fissada per
aquelas agachadas acusairas, lo plantol d’ensalada es dins l’invernacle
; cossí voldriatz que passèssi ieu per dessús lo peiral ambe mon
escalha ! Alara que los limaucs, eles, se margan pertot !
Entartugada – es lo cas d’o dire – d’èsser estada sospeitada e
confonduda amb aquela traça sens òsses ni clèsc, dintrèt patas e
cap dins sa cauquilha, çò qu’es lo biais, per una tartuga, de
far lo morre.
— Rai per las ensaladas, faguèt la talpa, contunhatz.
— En Marcon repoteguèt quand avisèt tanben dins la faissa de las
carròtas que i aviá pas lo compte, e que d’unas èran a mitat
chapadas...
Aquí, pardí, los agaches se virèron devèrs lo lapin blanc que
bretonegèt qualques mots per se desencusar. L’amassada notèt
tanben que las gautas blancas començavan de rogejar, sens poder
saber se veniá de la marmelada d’irange o de la vergonha...
— Velharetz, sens vos comandar, faguèt la talpa, a far pròva de
moderacion. E ambe las cambas qu’avètz, vos es pas malaisit
d’anar per òrta per diversificar vòstras fonts d’avitalhament.
Lo conilh baissèt las aurelhas en signe d’assentiment, plan
content de se’n tirar a bon compte amb aquel conselh amistós.
— Qué mai ? I tornèt la talpa.
— En Marcon, arribat ambe l’andusac sus l’espatla, entreprenguèt
d’amassar las patanas, e venguèt roge de colèra quand se mainèt
d’un desastre novèl : qualqu’un èra passat abans el, sos trufets
èran rosegats, plan sovent ne demorava qu’un bocin de pèl...
Al mot de “rosegats”, totes los agaches, mas d’agaches alucats,
rebotits, se virèron aqueste còp cap al rat talpièr amator de
patanons novèls.
Aiceste, sens cercar a se desencusar – èra un recidivista –,
considerèt qu’èra rostit e flambat, e puslèu que d’èsser liurat
a la justícia felina, s’esvaliguèt sens fum ni lum.
Tot aquò aviá plombat l’ambient, e la presidenta, d’una votz mal
assegurada :
— Quicòm mai ?
— Òc-ben, dòna presidenta, e me còsta de dire qu’En Marcon
manquèt s’escanar de fotra, e de roge passèt a negre coma una...
coma un... cossí dire... coma un cuol de padena, quand se mainèt
d’unas... d’unes talpairons, enfin d’unas talpinadas qu’avián
cambiat son semenadís de rafes en talpierada vertadièra...
Aquí los agaches se virèron cap a dòna Talpa, d’agaches de
reprobacion e de consternacion, e la paura d’ela auriá
desaparegut jos tèrra, segon sa natura, mas coma presidenta, li
caliá ben téner targa :
— Benlèu que me rendi pas totjorn compte ont buti mas bufadas,
mas ieu al mens, chapi pas las culhidas del proprietari, me
contenti dels vèrmes, e trabalhi, ieu. E tot lo monde vos dirà
que la tèrra de talpa, rica de minerals...
Res que de véser l’estabosiment mesclat d’ironia de l’amassada,
se mainèt que, als uèlhs de l’ortalièr, davant un semenat
degalhat, la tèrra de talpa èra un plan paure argument. E
rogeguèt. Cossí rogeguèt, ela qu’es negra coma un talpari, es lo
cas d’o dire ? Se pòt pas explicar, mas se vesiá ben que, de la
confusion, rogeguèt...
Es alara la tartuga que sortiguèt lo cap per levar lenga :
— Avètz acabat ?
— Ailàs non, faguèt l’esquiròl, ambe un aire de prigonda
desolacion, se torcissent las patonas de davant. En Marcon
bramèt coma un perdut, que n’aviá un sadolh de passar son temps
a noirir de sallas bèstias, qu’èra las de s’esquinaçar a téner
una òrta pel profit de las bèstias nosentas, e que podiá pas
durar, e que seriá lèu reglat. Tot aquò salpicat d’unas
paraulassas que la decéncia me permet pas de raportar aicí...
— Cossí “lèu reglat” ? faguèron d’unas voses inquiètas.
— E ben, d’aqueles bramadisses, reteni de tròces de frasa coma –
e l’esquiròl i anèt sens quitar de samucar : “...un tenement...
bastir un parelh d’ostals... los arrendaires me raportaràn
mai... e sens me crebar... Acabada l’òrta... Lo quitran, lo
betum... lo glifosata, los pesticidas... Vas véser un pauc...
tot aquò netejat... Al diable, la cacibralha !
Aquelas paraulas i faguèron coma un tèrra-tremol. La pichona
societat tèrra-clapierenca sentiguèt lo sòl se desraubar jos pès
e patas. E mai se lo sens d’unes mots demorava escur, se vegèt a
de bon fòrabandida, caçada de son òrt paradisenc, En Marcon
adreitat dins lo ròtle del querubin brandissent l’espasa de fuòc.
E plors, gemècs, samucs, guissals e piuladisses seguiguèron,
pròvas del desespèr animal mai prigond.
S’enganavan pas d’a fèt, çaquelà. Dins l’intensitat dramatica d’aquel
acamp, avián pas avisat una siloeta que, al recès de la randura,
s’èra sarrada, lo quite Marcon, vengut ambe l’idèa plan
arrestada de far un chaple.
Mas quand te vegèt aquela societat de bestiòtas se costejant e
s’endevenent aquí en çò seu, del subte la fotra li passèt ;
aguèt subran coma la vision d’un oasi, o per melhor dire d’una
arca de Noè que el, lo Marcon de Fabre, se deviá d’aparar per
tal que, dins un monde de brutalitge, demorèsse endacòm un palm
de paradís.
Atal me parlèt, los uèlhs encara lusents d’aquel imatge de sòmi,
quand l’anèri trobar coma qual se passeja sens pensar a res, per
li far lo compliment de son òrta...
Mas enfin, me demandaretz, cossí èra estat avisat de la tenguda
d’aquel acamp ? I aviá una “talpa” aquí, e aquela “talpa” èra lo
gat ! Manjant a totes los rastelièrs, quora onorable societari
landrant lo domeni, sens doblidar de cruscar qualque garri jos
pretèxt de servici d’òrdre, quora bèstia de l’ostal pagada per
sos servicis d’una escudèla de croquetas.
Justament, quand m’enanavi, me trobèri cap e tufa ambe lo gat,
ajocat sus una branca. De me véser, faguèt pas que sorire,
l’aire plan avenent. Pr’aquò, me mainèri de las arpas longassas
e afustadas e de las rengadas de dents ponchudas, e me diguèri
que valiá mai lo tractar ambe respècte.
— Sénher Gat, faguèri, e aquí lo gat soriguèt que mai, çò que me
metèt en fisança per formular ma requèsta : Sénher Gat, auriatz
l’amabilitat d’anar rassegurar los onorables societaris del
jardin partejat de Tèrra-clapièr, que las menaças èran pas que
de paraulas, mas qu’En Fabre, pietadós, passarà l’esponga suls
qualques degalhs que l’emmalicièron ?
— I podètz comptar, me venguèt el, amb un gèst de la pata drecha
sul còr.
E s’enanèt en s’escafant dapasset, començant pel cap de la coeta,
e en acabant pel sorire que durèt qualque temps aprèp que lo
demai del gat agèsse disparegut.
Alara aquel sorire de gat sens gat, en l’aire entre doas brancas
de perièr, destacat sus l’azur del cèl, me faguèt l’efièch de l’arcolan
d’aprèp lo deluvi, signe de l’aligança del Cèl e de la Tèrra.
E avètz aicí, cars legeires, lo compte-rendut fisèl e vertadièr
de tot çò qu’ai vist e ausit d’un acamp d’estranhs ortalièrs. »
Lectura acabada, lo paire Leon demorèt soscaire, entre sòmi e
realitat, quand se mainèt que teniá pas en man un libre de
contes, mas un jornal : « Los uèlhs te fan bavarilhas o qué ? »
L’impression d’aver viatjat dins un monde a l’encòp meravilhós e
versemblant èra tan fòrta que tot d’una tornèt a la primièra
pagina : òc-ben, èra plan lo Jornal d’aicí, ambe la data,
1èr d’abrial de tant, e aquel títol en letras tan gròssas, e la
mencion de l’“enviada especiala”, que semblava se trufar d’el.
« Mas de qu’es aquela pimpanèla que m’a emmascat ambe son conte
de Bernat mon oncle ? » se demandèt.
Tornat a la p. 5, fintèt lo nom de l’autora, un pichon nom que
li remembrava quicòm, mas qué ? Un simple pichon nom de femna o
de drolleta... Alícia !
Tèxte de
Bernat Vernhièras, de Castres (81), 2020 |
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