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"Il n'a jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir-là, en
marchant vers Compostelle"
ou
encore :
"Jamai diguèt pas a degun çò qu'aviá vist aquel ser, pel camin de
Compotèla"
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Les chemins de la Liberté
- La
coquille vide
- Lo
quinzen psaume de David
Les Chemins de la Liberté
Il n'a
jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir-là, en marchant vers
Compostelle. C’était un soir de décembre, en arrivant à la frontière
espagnole, quelques kilomètres après Urdunarré. Il marchait depuis
quelques heures déjà, depuis la tombée de la nuit. La fin était proche.
La partie la plus difficile aussi. Il y avait quelques années encore,
passer par là en décembre aurait été une hérésie, surtout de nuit.
Nombre de pèlerins s’étaient perdus et étaient morts de froid dans les
environs. Mais cela faisait plusieurs années que la neige n’était pas
tombée en abondance par ici, malgré l’altitude. Le réchauffement
climatique avait fait son effet. Ce n’était pas plus mal. Non, la
difficulté était tout autre, bien plus dangereuse.
Le chemin serpentait dans la montagne depuis qu’ils avaient quitté la
route. Avec son frère et sa sœur, il avait intégré un groupe de pèlerins
qui marchait vraisemblablement depuis le matin et ne tarderait pas à
s’arrêter pour la nuit. Il y avait un refuge quelques encablures après
la frontière. Les pèlerins avançaient en silence, harassés par une
journée de marche difficile. Le brouillard s’était levé, cachant la
lune. Les conditions étaient idéales pour passer en Espagne en toute
discrétion.
Soudain, le danger tant redouté prit forme. Des cônes de lumière
percèrent la brume devant eux, pointés dans la direction des pèlerins en
tête de la procession. Des lampes torches. Il savait ce que cela
signifiait. Il jeta un coup d’œil entendu à son frère et rajusta
imperceptiblement son bonnet et son écharpe, prétexte idéal pour
dissimuler au mieux ses traits. Sa petite sœur vint se placer entre eux
deux. Les propriétaires des lampes émergèrent du brouillard. Une
patrouille de police. Casques lourds, gilets pare-balles, fusils
d’assaut et chiens d’attaque. Une patrouille classique, en somme. La
fratrie baissa les yeux à son approche. Chaque pèlerin était
sommairement inspecté par le policier situé en tête. Leur tour arriva.
Le policier braqua sa lampe sur chacun des trois visages tour à tour,
puis poursuivit son chemin, satisfait. Une nouvelle fois, peut-être la
millième depuis son départ, il remercia intérieurement son père. Cette
idée de se fondre parmi les pèlerins de Compostelle avait dépassé toutes
ses espérances. Les pèlerins et autres religieux semblaient bénéficier
d’une sorte d’immunité. Tant mieux pour eux. Cette pensée envers son
père lui remémora ce jour où fut prise la décision de fuir.
Ils vivaient dans une cité des Ulis, dans la banlieue parisienne. Une de
ces cités tristement célèbres qui, dix ans auparavant, avaient été
évacuées et converties en résidences surveillées. Un euphémisme pour
désigner ces immenses prisons à ciel ouvert qui auraient été qualifiées
de ghettos en d'autres temps. Elles pouvaient accueillir plusieurs
centaines de locataires. Ils y avaient été « assignés à résidence » avec
leur père, neuf ans plus tôt, et n’en étaient pas ressortis depuis.
Cela faisait plusieurs mois que son frère et lui avaient décidé de
refuser cette vie de reclus qui leur était imposée. Ils ne voulaient
plus vivre dans la peur perpétuelle, dans l’angoisse permanente. Ils
voulaient vivre, tout simplement. Ils ne s’en étaient jamais ouverts à
leur père, mais celui-ci avait compris. Un jour, trois mois plus tôt, le
chef de famille avait réuni ses trois enfants dans la pièce principale
de leur appartement. Il n’était pas un homme de discours. Malgré
l’importance de l’annonce, il n'avait pas dérogé pas à sa règle. Il
avait annoncé à ses enfants sans ambages :
— Je sais ce que vous voulez. Ici, vous ne pourrez que survivre. Et vous
savez comment ça finira. Comment ça finit toujours… Alors, vous allez
fuir tous les trois en Espagne. Et vous irez là-bas à pied.
Les deux frères avaient échangé un regard plus que circonspect. Leur
père avait-il perdu la raison ? Pourquoi aller en Espagne alors que la
Belgique, l’Allemagne ou même le Grande Bretagne semblaient plus
accessibles ? Et pourquoi à pied ? Sans leur laisser le temps de
demander des explications, leur père avait repris :
— Les autorités s’attendent à ce que vous partiez vers le nord ou l’est.
J’ai beaucoup réfléchi. Vous suivrez les chemins de Compostelle. Ils
sont revenus à la mode ces derniers temps, et il ne devrait pas vous
être difficile de vous fondre parmi les pèlerins. Vous voyagerez de
nuit, et dormirez à l’écart des lieux habités. Vous partirez fin
octobre. Les longues nuits et le mauvais temps vous aideront à voyager
discrètement. Vous avez donc un mois pour vous préparer .
Un mois plus tard, le jour du grand départ, le père avait pris l’aîné à
l’écart, tenant dans sa main un livre à la couverture usée par le temps
:
— Écoute fils, je dois te le confier. Il s’agit de mon bien le plus
précieux. Du bien le plus précieux de la famille. J’ai bien conscience
que sa possession pourrait entraîner ta perte. Mais il faut que tu
comprennes. Ce livre est dans la famille depuis des générations et doit
y rester. N’hésite pas à l’ouvrir, il pourra te servir de réconfort et
te guider dans les moments de doute. Pars, maintenant. Je te confie ton
frère et ta sœur. Prends soin d’eux.
Il avait pris son fils dans ses bras pour une dernière étreinte. Ce
dernier avait remercié son père et s'était dirigé vers son frère et sa
sœur, qui l’attendaient. Ils ne le savaient pas encore, mais c’était la
dernière fois qu’ils voyaient leur père.
L’inconvénient de transformer des cités entières en prison, c’est qu’il
n’était pas difficile d’en sortir, pour qui savait s’y prendre. Et ayant
grandi là, ils savaient s’y prendre. Ils avaient rejoint le GR655 qui
passait à quelques kilomètres au nord des Ulis. Ils y avaient vu leur
première coquille Saint Jacques, gravée sur un mur. Ils avaient rejoint
la via Turonensis, qui les guiderait jusqu’à l’Espagne. Leur aventure
avait ainsi commencé, trois pèlerins de plus, anonymes parmi tant
d’autres.
Que de chemin
parcouru depuis ce jour. Un peu plus de mille kilomètres, d’après le
guide que leur avait dégotté leur père. Il regroupait toutes les cartes
des chemins de Compostelle. Certaines, devenues inutiles, avaient servi
à allumer des feux. Les autres tombaient en lambeau à force d’avoir été
extirpées de la besace, inspectées, scrutées, froissées… Mais tout ceci
n’avait plus d’importance maintenant. La fin était proche. Depuis le
début du voyage, ils n’avaient transporté que le strict minimum, misant
sur des sacs légers portés en bandoulière pour voyager plus vite. Leurs
possessions se résumaient à quelques vêtements, certains chauds,
d’autres imperméables, des sacs de couchage et donc ce guide. Un peu
d’argent aussi. Une fortune pour leur père. Toute sa fortune à vrai
dire, mais qui valait bien peu en dehors du ghetto. Ils avaient dépensé
leurs derniers francs à peu près à mi-parcours, dans la banlieue de
Saintes. Depuis, ils se nourrissaient grâce à la bienveillance des
autres pèlerins. Les vrais. Ils avaient aussi quelques euros, souvenirs
qu’avait conservés leur père mais inutiles en France depuis que le pays
était revenu au Franc, début 2019. Ils serviraient en Espagne.
Au détour d’un virage, une file compacte de pèlerins apparut devant eux.
Elle ressemblait à celles qui se formaient aux heures de distribution
des rations alimentaires aux Ulis. Elle se dirigeait vers de puissants
faisceaux lumineux qui perçaient le brouillard et la nuit. Les trois
voyageurs y prirent place. C’est alors qu’ils comprirent. Ils avaient
toujours pensé que les contrôles aux frontières n’avaient lieu que sur
les routes ouvertes à la circulation. Terrible erreur. Des miradors
surmontés de projecteurs et de sentinelles, des hommes armés jusqu’aux
dents et des chiens. Voilà ce qui les attendait au bout de la queue. Les
papiers étaient vérifiés et les sacs fouillés. Leurs papiers les
trahiraient, tout comme le livre confié par leur père. Il regarda son
frère et lui chuchota :
— Écoute, on ne passera pas, c’est impossible.
— Qu’est-ce qu’on peut faire, répondit celui-ci. On ne peut plus faire
demi-tour.
— Si, il existe d’autres passages, d’autres cols moins fréquentés. Ils
ne peuvent pas tous être surveillés. J’aurais dû y penser avant. Je vais
regarder la carte. On va trouver. Crois-moi », ajouta-t-il en plongeant
la main dans sa besace.
C’est alors qu’un cri fusa dans la nuit. « Halte !»
L’ainé des trois clandestins eut un moment de panique. Puis il perçut de
l’agitation derrière lui et se retourna. Il vit un homme, qui avait
intégré la file peu après eux, s’éloigner lentement après avoir fait
demi-tour. L'homme ne réagit pas à la première injonction. Un deuxième «
halte » sonna alors comme une mise en garde. Au lieu d’obtempérer,
l’inconnu se mit à courir. Un chien fut lancé à ses trousses. L'homme
n’avait aucune chance. L’animal se jeta sur ses mollets. Le fugitif
s’écroula. Le chien ne desserra l’étreinte qu’après en avoir reçu
l’ordre d’un policier arrivé sa hauteur. Le pauvre homme fut relevé et
emmené manu militari au poste frontière.
Toute fuite était donc impossible. L‘ainé de la fratrie prit sa sœur
dans ses bras et se tourna vers son frère :
— Ecoutez, je ne vois pas d'autre solution : il faut passer en force !
Dès que notre tour sera arrivé, courez devant vous. Ne vous arrêtez pas
avant d'avoir passé la frontière. C’est notre seule chance.
L’attente fut dès lors un véritable calvaire. Chaque contrôle paraissait
durer une éternité. Mais paradoxalement, la queue semblait avancer à une
vitesse folle et le poste frontière approchait toujours plus vite. Leur
cœur battait de plus en plus fort. Leur tour arriva. La petite sœur,
terrorisée, ne put s’empêcher de pleurer. Le cadet de la fratrie lui
prit la main, l’air décidé. Le grand frère fermait la marche, la main
dans sa besace, serrant anxieusement le livre que lui avait confié son
père. Un policier, fusil à la main, doigt sur la gâchette, pointa sur
les trois clandestins une lampe torche :
— Papiers, s’il vous plait, demanda-t-il ton autoritaire.
— Mon fils, ces pèlerins font partie de mon groupe, dit une voix posée
provenant de leurs arrières.
La lampe du policer changea de cible, tout comme le fusil. Il n’avait
pas eu le temps de voir la couleur de peau des clandestins. Un homme
d’un certain âge s’avança dans la lumière. Il s’adressa de nouveau au
policier :
— Paul, tu me reconnais ? Je suis le père Albert. Je t’ai fait le
catéchisme, il y a quelques années. Ces trois jeunes gens sont avec moi.
Nous avons marché toute la journée et nous sommes éreintés. S’il te
plait, ne les importune pas plus.
— Père Albert, je ne vous avais pas reconnu, dit le policier qui avait
perdu son ton autoritaire à la vue du prêtre. Allez, vous pouvez passer,
je dois juste vérifier rapidement vos sacs. C’est le règlement, dit-il
aux voyageurs.
Il fallut quelques secondes à l’ainé du groupe pour comprendre, et
surtout accepter, ce qui venait de se passer. Le policier avait fini
d’inspecter le sac de sa sœur quand il reprit ses esprits. Ils étaient
sauvés ! Ce prêtre venait de les sauver. Puis tout aussitôt, il se
rendit compte de son erreur. Il ne passerait pas l’inspection avec ce
maudit livre. Il avait gardé la main dans son sac. Il sentit une autre
main sur la sienne puis entendit :
— Mon fils, retirez cette main, ayez l’air détendu et tout va bien se
passer, je vous le promets. Dieu est juste, le mien comme le vôtre.
Son frère et sa sœur étaient passés et son tour arriva. Son cœur battait
la chamade. Il fallait qu’il temporise, pour laisser aux autres le temps
de passer la frontière, une trentaine de mètres plus loin. Son frère
l’avait compris, et il entrainait sa sœur d’un pas rapide. Le dernier
clandestin fit tomber son sac, s’excusa, tenta d’engager la conversation
avec le policier… Celui-ci, perdant rapidement patience, lui arracha le
sac, le fouilla, en sortir un livre qu’il feuilleta rapidement. Il se
tourna alors vers le pèlerin et lui déclara :
— C’est bon, vous pouvez passer, bonne fin de pèlerinage !
Pour la deuxième fois en quelques minutes, le cerveau du jeune homme se
déconnecta devant le déroulement improbable des évènements. Il s’était
cru perdu, et voilà qu'il était à marcher vers le poste frontière
espagnol, en toute sécurité. Il en était à mi-distance quand il sortit
le livre de son sac. Le Coran que lui avait remis son père. Il lut les
premiers mots de la couverture : « La Bible » !. Au même moment, il
entendit qu’on haussait le ton derrière lui. Il se retourna et vit qu’on
poussait le prêtre vers le poste frontière. Il aurait pu intervenir,
leur expliquer tout. Prendre la place de ce prêtre… Il ne faudrait pas
beaucoup de temps pour que les autorités comprennent que le religieux
avait aidé des présumés terroristes. Et ce crime était passible de la
peine de mort… Mais, au lieu de ça, il se détourna et se mit à courir
comme jamais il ne l’avait fait.
Il retrouva son frère et sa sœur. Il leur expliqua que la fouille de son
sac n’avait rien donné, que le policier était incompétent, que Dieu
avait voulu qu’ils passent... Il leur dit finalement qu’il fallait
absolument finir le chemin jusqu'à Compostelle, par respect pour ce
prêtre qui les avait sauvés.
Ils s’appelaient Mustapha, Oussama et Fatima et étaient musulmans. Il
aurait aimé dire que leur vie avait basculé en ce mois de décembre 2027.
Mais elle avait basculé bien plus tôt. Le 23 avril 2017, très
précisément. Ce jour-là, après deux années de terreur émaillées
d’attentats, une Présidente, d’extrême droite, avait été élue dès le
premier tour. L’état d’urgence avait été instauré deux mois plus tard,
et n’avait jamais été abrogé depuis. Il permettait d’assigner à
résidence tout individu présumé terroriste. Peu à peu, tout musulman ou
toute personne originaire d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient devint
présumée terroriste. La possession du Coran devint un crime.
Mustapha vit aujourd’hui encore à Compostelle. Il est sûrement le seul
musulman qui conserve religieusement une Bible chez lui. Cependant, le
sentiment de culpabilité et la honte ne l’ont jamais abandonné, malgré
les années. Il n’a jamais trouvé la force de le faire : il n'a jamais
dit à personne ce qu'il avait vécu ce soir-là, en marchant vers
Compostelle.
Texte de
Jérémy Boucher, de Saint-Gaudens (31), 2016
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La coquille vide
Il n’a jamais dit à personne ce
qu’il avait vu ce soir-là, en marchant vers Compostelle. Sa
timidité légendaire sans doute. Sa prudence. Enfin, en marchant
? Vite dit ! Avec un seul pied, on a plutôt tendance à se
traîner, non ? Les pavés inégaux vous font multiplier attentions
et efforts. Alors oui, il s’était traîné et avait redoublé de
précautions pour ne pas glisser dans les ornières par temps
pluvieux.
Non, il ne l’avait jamais dit. A personne. Même auprès de ses
semblables, croisés depuis cette aventure. Alors pourquoi le
dire maintenant ? Sans doute cela lui avait paru et lui
paraissait toujours si étrange qu’il devait bien, aujourd’hui,
se résoudre à révéler aux siens cette découverte pour le moins
surprenante. Sidérante serait l’adjectif approprié. Cela l’avait
laissé sans voix. D’ailleurs il s’était tu si longtemps. Trop
peut-être. Cela devenait trop lourd à porter à présent. Certains
ne savent pas garder un secret. Ils vont en parler à messe
basse. D’autres fanfaronnent quand ils racontent et se donnent
de l’importance. Lui, ce n’est pas son genre. Mais ce secret
était si complexe. Il avait mûrement réfléchi avant de se
résoudre à parler. L’idée de décrire enfin ce qu’il avait vu
avait fait son chemin, lentement comme une volute qui monte en
spirale. Mais l’idée ne s’était pas évaporée. Bien au contraire.
Elle avait pris corps. Trop longtemps il s’était renfermé sur
lui-même. Alors c’était décidé, il s’ouvrirait à ses amis et
leur ferait part de ce qu’il avait vu et de ce qu’il avait
réellement fait, quand bien même cela lui coûterait. Oui vu,
bien vu de ses deux yeux, aucun doute là dessus. Et son
témoignage était fiable. On ne pouvait pas lui reprocher de
s’adonner à un quelconque vice qui lui aurait fait perdre toute
logique et tout sens du jugement. Non, intègre il l’était. Et
imaginer un seul instant qu’il eût pu inventer cette histoire
abracadabrante, ce serait pire que de le condamner au bûcher. Il
était digne de foi, comme tous les pèlerins sur les chemins de
Saint-Jacques. Il ne pouvait en être autrement.
Ralentissant sa progression, il laissait cheminer ses pensées.
Ultimes hésitations. Circonvolutions. Il retardait son arrivée
au lieu de ralliement, donnant du temps à la résurgence des
souvenirs.
Il était parti de la Nièvre. La Bourgogne, son beau pays. Il
avait d’abord rejoint Vézelay et son abbaye. Pour y parvenir, il
avait eu la chance de monter sur une charrette qui avait fait
halte du côté de Surgy. De là, s’agrippant à un bâton de
fortune, il avait gagné Clamecy. Aller à Lormes pour y revoir
des amis aurait été un trop grand détour. Alors il avait rejoint
Vézelay, puis Quarré-les-Tombes. Cahin-caha, il avait continué
sa route vers Notre-Dame de Cîteaux, multipliant les pauses pour
reprendre des forces. Des forces, il en fallait pour
entreprendre cette sainte migration. Et la pitance était bien
maigre sur les chemins terreux et empierrés. Chacun se
nourrissait de peu. La foi, oui la foi, semblait être l’unique
fruit qui vous sustentait à jamais pour continuer. Abnégation.
Sens du dévouement. Humilité. Naïveté peut-être, mais ténacité
sûrement. Pourtant, et ce n’est pas peu dire, chaque jour il
avait l’estomac dans le talon. Ça gargouillait sec ! Il fallait
faire avec ! Ne pas céder à l’abandon. Se montrer digne.
Souffrir en silence. Heureusement le temps pluvieux permettait
de s’hydrater. La pluie le lavait. Comme elle lavait de leurs
péchés tous ceux qui l’accompagnaient. Cette eau divine qui
tombait du ciel était une vraie bénédiction. Comme d’autres, ce
qu’il redoutait le plus, c’était bien la chaleur. Si d’aventure
elle s’installait pendant plusieurs lunes dans son manteau de
sécheresse suffocante, il venait à prier pour que la nuit vienne
vite. Quand l’occasion se présentait, il s’attardait dans la
fraîcheur des sous-bois. Parfois la providence lui souriait. Des
fraises des bois amélioraient l’ordinaire, il avait bien eu
raison de prier au bord de la chaussée. A quelques pas, un lit
de mousse offrait sa douce hospitalité. Ah, pouvoir coincer la
bulle ! Instants de quiétude, de recueillement avant de
poursuivre plus loin. Repos bienvenu quoique trop court pour qui
avait entrepris pareil périple. Car il s’agissait bien
d’affronter l’inconnu.
Et les dangers étaient nombreux ! Ainsi avait-il dû se faire
tout petit pour échapper aux maraudeurs. Ces chemins, certes
fréquentés, ne sont néanmoins pas très sûrs aux brumes
matinales. Certains ne dorment pas et vous cueillent au réveil.
D’habiles détrousseurs, qui vous feraient passer ad patres si
jamais vous leur résistiez. Et même si vous ne leur résistez pas
! Alors seule solution, se cacher dans les fourrés alentour ou
bien derrière un arbre, une souche. Dans ce pays de bocage, un
muret ou une épaisse haie peuvent faire votre bonheur et devenir
l’asile éphémère qui vous permettra de survivre. Qui vous
permettra de continuer. Et aujourd’hui de témoigner.
Hélas, il doit bien avouer qu’il n’a pas pu aller jusqu’au bout.
Aller jusqu’à cette lointaine contrée et cette terre promise
au-delà de la frontière. Pas assez de force. Voyage de tous les
dangers. Pour sûr, il en avait bavé. Et puis, surtout cette
découverte au détour d’un virage et les interrogations qui ont
suivi. Devait-il poursuivre et mettre son existence en péril ?
Un questionnement personnel qui l’avait décidé à rebrousser
chemin. Bien sûr, il n’a rien dit. Rien sur ce terrible secret.
Rien sur son renoncement. Il a laissé croire à ses proches qu’il
avait atteint son but, qu’il avait vu Compostelle. En mentant,
en se taisant de la sorte, il s’enferrait dans un piège. Plus il
attendait pour faire éclater la vérité au grand jour, plus la
tâche allait se compliquer. Plus il repoussait au lendemain,
plus il s’enfermait dans sa coquille et moins il serait crédible
au jour J. Alors, un beau matin, il s’était décidé. Advienne que
pourra.
S’enfermer dans sa coquille, drôle d’expression pour un pèlerin
tel que lui ! Lui qui n’avait point, qui plus est, atteint
Compostelle. C’était pour le moins risible. Il le reconnaissait.
Et ce le serait vraiment si, d’aventure, la raison qui lui avait
fait rebrousser chemin n’était pas justement en lien avec la
dite coquille. Alors, après quelques hésitations il raconta
enfin.
Ils étaient tous réunis et faisaient cercle autour de lui. Pas
un bruit. Tous suspendus à son récit, yeux écarquillés. Tous
prêts à refaire le voyage avec lui. Prêts à gober une ultime
salade ? Non, il leur avait promis la vérité.
Or donc, au matin du cinquantième jour, ou quarante neuvième –
sa mémoire lui jouait des tours – il abordait le dernier lacet
du sentier qui descendait vers cette chapelle perdue au milieu
du vallon. La cloche lointaine sonnait le glas. Il ralentissait
sa course quand il la vit, là, éparpillée. Disloquée, émiettée.
L’effroi le submergea. Elle était vide… De suite il pensa à un
meurtre. Un meurtre sur ce chemin voué à la piété. Quelle honte
! Quelle infamie ! Quelles âmes impures avaient bien pu
perpétrer cette abomination, là, en ce lieu ? C’est alors que
s’approchant davantage, il vit. Et ce qu’il vit le laissa
perplexe. La coquille écrasée était de loin bien étrange.
Pourtant elle ne lui était point inconnue. Il avait eu le loisir
d’observer une représentation d’icelle sculptée dans la pierre
et les bas reliefs de l’église de son village. Des striures, une
envergure et un aspect bien différent de sa propre coquille. Il
l’avait bien identifiée. Mais, bon sang, que faisait-elle là,
sur ce chemin, si éloignée de son habitat naturel. Si loin de
l’eau. Elle avait dû être enlevée, séquestrée puis sacrifiée sur
ce promontoire. Et pour quelles raisons ? Ou bien égarée, elle
avait été victime de ces vilains qui terrorisent les pèlerins
comme lui. Mais que venait donc faire cette coquille dans cette
galère ? Oui, cette coquille Saint-Jacques brisée en mille
morceaux le laissait dubitatif. Et ce à plus d’un titre. Il
allait en perdre son latin. Un, il n’aurait jamais imaginé faire
une telle rencontre avec pareille coquille, sur ce sol terreux
en tout cas. Deux, devait-il poursuivre son chemin, alors que sa
propre coquille était bien moins épaisse et moins robuste ?
Question existentielle.
Plusieurs jours et plusieurs nuits se succédèrent. Il s’était
recroquevillé à quelques coudées des brisures, méditant sur la
suite et la décision à prendre. Il tournait et retournait sans
cesse ses conclusions. L’orage s’était mis à gronder. Au loin
les éclairs, et le tonnerre qui psalmodiait une prière
tonitruante. Soudain la pluie vint. En grosses gouttes isolées
puis de plus en plus nombreuses comme une procession en rangs
serrés déferlant des nues sur la route de Compostelle. L’eau
dévalait maintenant en rigoles le chemin et emmenait avec elle
les fragments épars de l’illustre coquillage. Elle emportait
aussi ses dernières illusions et ses derniers espoirs. Voilà, il
en avait terminé avec son pèlerinage. Il devait se résoudre à
faire demi-tour pour rentrer au pays. Son salut en passait par
là. Dorénavant son unique but, rentrer sain et sauf pour
témoigner. Ou ne pas témoigner. Une certitude dans tous les cas
: rentrer pour retrouver les siens dans la verte et grasse
Bourgogne. Sur le trajet du retour, il avait décidé de se
déplacer uniquement la nuit. Sage précaution s’était-il dit pour
éviter les mauvaises rencontres, pour éviter les chauds rayons
du soleil. Pour passer incognito. Pour ne pas subir les foudres
de congénères qu’il serait amené à croiser. Pour masquer sa
honte d’avoir échoué. Mais peut-être ne fallait-il voir là
qu’une expérience propre à le faire grandir. Il se devait de
retirer de cette épopée la quintessence qui lui procurerait un
supplément d’âme. Il analysa et admit qu’il vivait comme une
résurrection. N’était-ce pas la vérité que quiconque venait
chercher sur ces chemins ? Cette pensée le rasséréna et donna un
nouveau sens à sa vie. Et surtout le sens du retour au bercail…
On se motive comme on peut, surtout quand il s’agit de
s’absoudre !
L’horizon se teintait de rose. L’humidité remontait du sol.
Tous, frères, sœurs, parents proches ou éloignés, cousins et
amis, oui tous écoutaient religieusement la fin de l’histoire.
Pour eux, il restait le digne représentant de leur communauté.
Aucun ne chercha à interrompre Helix pomatia quand il avoua
avoir rebroussé chemin. Quand il avoua être reparti du bon pied,
son unique pied, priant pour qu’un hérisson ne décide pas, d’un
coup de dents sec, de faire de lui son repas. Priant pour
qu’aucun talon ne vienne l’écraser. Entre chien et loup, il
avait ainsi progressé, lentement, laissant derrière lui une
traînée scintillante telle une voie lactée sur le firmament des
illusions perdues. Une trace qui l’avait éloigné, chaque jour et
chaque nuit, un peu plus de Compostelle.
Texte de
Emmanuel
Broc, de L'isle-Jourdain (32), 2016
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Lo quinzen psaume de David,
Jamai diguèt pas a degun çò qu'aviá
vist aquel ser pel camin de Compostèla. Mas aquel jorn de
mas nòças, coma li pausavi una question innocenta, mon paire me
contèt perqué e cossí aviá aprés de per còr lo quinzen Psaume de
David.
« Qual demorarà sus ta Montanha Santa ?»
David, 15:2
« Fasiá ja un brave moment que lo besonh d'una pausa se fasiá
sentir. Lo camion, pas plan brave e petaçat coma podiam, tròces
a tròces en fonccion de la moneda disponibla, nos roinava lo
pòrtamoneda e l'esquina, que las suspensions èran pas dins las
prioritats. Cossí far musicaire, me demandèt un jorn un jovent ?
Te cal aprene a presar las oras de veitura e lo cafè d'autòrota.
A Moissac, prenguèrem la cambra, que Madrid èra luenh encara. L'ostalariá
se disiá del Luxembourg, a la broá de l'avenguda bèla, e
semblava una carta postala. Rai, erèm pas aquí per far vistalhas
: una docha, manjar una bocada de fritas grassas e çò que
semblava mai o mens èsser estat d'una vaca a un moment donat. E
puèi, i aviá lo plaser de drollon mal ensenhat de sentir l'agach
dels pelegrins en camin per Sant-Jaume que fintavan d'un uèlh
marrit nòstra banda de peluts vestits de negre, qu'erèm de tota
evidença pas aquí per asorar lo Sant-Esperit.
Sortiguèri. Tròp de monde, de bruch, l'enveja d'anar me
desgordir las cambas en fintant passar lo temps. Un pichona
ventolada d'abrial me quitava doçament la lassièira de la rota.
A la terrassa d'un cafè, qualques bipèdas, confles de muscles e
de cervesa d'usina, bramavan sus la darrièira musica tusta-tusta
del moment. Una filha magronèla cuolatejava sus una taula.
Tirèri encara per me sarrar de Tarn e m'aluenhar del tropèl.
« Gita pas l'opròbi sus
son propdan. »
David, 15:3
Un pauc de frescor planvenguda montava del riu. La nuèch veniá e
ja arrivavi al pont de Sant-Benaset, del nom d'un autre pissa-fresc
que, de son temps, faguèt catonar lo monde ambe çò que podián
pensar o pas e que passèt sa vida d'anacorèta a pregar, manjar
sec e beure d'aiga, tant te dire qu'erèm pas collègas. Qualques
pelegrins vestits a la mòda nordica, pregavan. Un cople de
seissantenaris, que passava, los remarquèt e s'anèt claure amb
eles, naturalament. Un moment, lor mina apasimada, lo plaser qu'avián
de se téner las mans, la simplicitat d'aquel ligam espontanèu
per eles, l'impression de serenitat, me donèran enveja d'aver la
Fe...
- Vòstre Dieu es avugle, sord, mut e ivronhàs, bogres d'ases !
Los pregaires se revirèran còp sec. Lo bramaire de renegament se
teniá a quatre
passes d'eles, aflaquit sus un banc. Los pelegrins s'alunhèran
lèu-lèu. L'autre ricanèt, se rasclèt la garganta e escupiguèt
sul pasiment. Un moment, nòstres agaches se crosèran e manquèri
de m'escanar.
L'òme s'avarlacava, la camisa a carrèus mirgalhada de canhadas
que volguèri pas identificar, los pèlses degafonats, la barba
vièlha e rasposa, grassa d'una mangisca de supermercat. A son
costat, una filha sens atge, a mitat adormida, lo pèl rosselet
pissós, beviá lo vin a la quita botelha. Cò que davalava pas pro
viste dins sa garganta rajolava dins son camisèt tròp pichon en
lisant long de son còl salle. Entre eles, una Bíblia vièlha,
duberta a la pagina dels psaumes.
M'i calguèt prene mai d'un còp per tornar trapar lo brave curat
de Sant-Laurens qu'aviái conegut dins mon enfància darrèr aquela
sisa de crassa e nolor de vin sanat que li pegava a la pèl. El
m'agachava en se risent d'una boca qu'aviá semenat de tres o
quatre dents endacòm.
- Paire Blanquièr ? demandèri sens i crèire ieu metèis o a pro
pena.
Se riguèt.
- Tè ! Lo moquirrós ! As plan crescut.
Era plan el. Pas de crèire. La filha m'agachèt lèu fach e coma
semblavi la mena de tipe a qual podriá pas prene una pèça o doas,
s'en tornèt a la botelha.
- As una cigareta, vièlh moquirrós ?
Ne tirèri una del paquet, me l'amassèt de dos dèts ennegresits
per sabi pas que. Una volada de colombs passèt tot pròche.
Prenguèri lo temps de lo fintar alucar lo tabac. Cossí podiá
èsser lo metèis òme ?
« Finta desdenhosament lo qu'es mespresable »
David, 15:4
Quicòm coma vint ans pus lèu, aviái fach la coneissença del
curat Blanquièr una dimenjada ont erèm venguts plantar la tenda
a Sant-Laurens ambe los Scouts de França. Èra d'aquel temps ont
portar l'unifòrme blu m'agradava, ont m'èri pas encara fach
engarçar per cap de femna ni mai aviái pas descovert que mon
paire saviá pas tot. Me pensavi immortal o gaire ben, la vida
èra simpla. Pro nèci encara per pas sentir venir lo trebolh de
l'acnea o de las amors, dels estudis e de la complementària
santat.
Tot lo tropèl de camisas bluas, lo drapèl en davant, s'èra anat
claure coma se deu al primièr reng, entre l'autar e la clocada
de mametas de la corala. Alinhats coma de melons, plan
penchenats, pròpres, la joinessa « mens sana in corpore sano »
dins tota son esplendor.
Perqué m'en sovenir ? Perqué aquel curat foguèt lo primièr que
me donèt l'impression d'èsser urós ambe sa Fe, son celibat e sa
caminada. Los autres clergues, quora parlavan, donavan
l'impression de t'en voler d'aver lo drech de far tot çò que se
defendián. Pudissián la frustracion, la paur, la clòsca confla e
quitament la folia per
d'unes. Aviam mençonat un pauc, nos èra vengut vistalhar al camp
e s'èra daissat convencer per una part de patanóns tròp cuèches.
Parlava simplament. Començava
totas sas frasas per « aquò's plan » o « soi urós de çò que me
dises ». Pas cap de crenta de Dieu, pas cap de colèra divina, la
que chaplèt Sodòma, Gomòrra e tantes maites. Sonque son plaser
d'anonciar çò que el, qu'aviá benlèu pas trenta ans a l'epòca,
considerava vertadièrament coma la Bona Novèla. Lo tornèri veire
un còp o dos, a qualques ramosaments.
Me seguèri sul banc, entre el e lo Libre. Cercavi los mots. Èra
coma parlar a un vièlh camarada de classa qu'as perdut de vista
e qu'en crosant, te ditz qu'a lo cranc. El rifanhèt, quicòm de
fòl li trebolava l'agach.
- Cossí se sona ? demandèri en guinhant la filha del det.
Me’n chautavi mas caliá ben començar per quicòm.
- Sabi pas mai. Amandina, o una colhonada aital. Bon, la pausas,
ta question, lo moquirrós ?
- De que vos es arrivat, mon Paire ?
Un temps passèt, long coma una romèc. De luènh, lo tusta-tusta
del bar se fasiá ausir. Tarn, el, cercava totjorn la siá Garona.
- Te sovenes un pauc de la Bíblia ? diguèt en me montrant la siá,
pausada a son costat. Non, probable, qu'a te véser, sentissi ben
que, la glèisa, lor còpas pas las cadièiras. Dins son psaume
quinze, David demanda a Dieu qual serà a son costat. Tota una
tièira de responsas aprèp. Aquí la primièira : « Lo que marcha
dins l'Integritat, que fa Justícia e ditz la Vertat de son Còr.
» Aquí l'as, ta responsa, moquirrós.
- Compreni pas, mon Paire.
Sos uèlses anèron se perdre dins las aigas fangosas de Tarn, que
la nuèch tota acatava ara. La rosseleta estorniquèt. Se riguèt
d'un rire que pudissiá la mòrt.
- Ieu tanpauc, moquirrós… Ieu tanpauc, compreni pas.
« Se retracta pas d'un jurament. »
David, 15:4
Quatre ans pus lèu, un jorn coma un autre d'un mes de julhet, un
d'aqueles ont lo lum aclapa tot, ont la prangièra te fa tifa-tafa,
una cagada de capèls emplumats, de raubas tròp cortas sus de
cuèissas tròp gròssas, de camisas de colors fushià, magentà e
maitas canhadas, d'aparèlhs que prendrián de fòtas mal cadradas
e farián los uèlhs rotges, en un mot, un maridatge, que… Tot
aquel monde que fasián per la mitat lo semblant de s'aimar, que
s'amolonavan de salamalècas tot en fintant plan qual èra lo mai
polit, qual aviá encara cambiat de companha dempuèi l'an passat,
qual fotiá de ventre, qual èra pas estat convidat, tot aquel
monde, disiái, dintrava en clocada dins la glèisa de
Sant-Laurens. Aquò parlava, aquò bramava d'una capèla a l'autra,
aquò pausava lo capèl sul retaule de la Vièrja, aquò caminava
d'un caire a l'autre, aquò chimpava de dets pegats pels
Carambars dins lo beneitièr, aquò fasiá mina de dansar lo twist
sus l'Adagio de Bach…
Dins la sacristia, lo Paire Blanquièr plorava. Sietat sus un
carton de reclamas
pel Denièr del Culte, vestit de la rauba blanca e de l'eissarpa
roja, Pascal Blanquièr, curat dempuèi vint ans, plorava totas
las lagremas que li venián, totas las que reteniá benlèu dempuèi
d'annadas. La nòvia se sonava Magalia. La marridava pel tresen
còp en sèt ans. Lo nòvi, joan-quicòm, profitava de la sala
parroquiala per s'atrapar una de las domaisèlas d'onor de sa
futura femna. La messa començava dins mièja-ora.
Una setmana pus lèu, son collèga de Castras èra vengut se
confessar a el. Una istòria simpla, vièlha coma la Glèisa, una
femna, lo secrèt dempuèi d'annadas, l'ipocrisia de los que
fasián mina de pas o veire. De lagremas, aquí tanben.
Tot tornava, ara. Aquel dròlle qu'aviá pas festejat los dètz
ans, plegat en tres setmanas d'una malautiá sens nom. Ja, al
cementèri, los mots sonavan cròi. Lo paire repetava dins lo
voide que l'enfant preniá sa plaça dins la tombèl. Lo mistèri de
la Fe, lo monde milhor, daissatz venir a ieu los pichons
enfants... E l'impression d'aver de fanga dins la garganta.
Per la vièilha Frasí, pas un quite nevot a l'entarrament mas
totes plan alinhats al notari.
Aquela adolescenta, venguda far la Confirmacion, que deguns aviá
pas jamai vist a cap de messa. « Sonque per dire d'aver plan
fach las causas, mossur lo curat », diguèron los parents.
Aqueles paroquians, que cantavan lo nom de Jesus sens èsser
quitament capables de s'aimar entre vesins.
La nòça anava començar. Desliura-nos del mal. Quantes de còps,
l'aviá prononciada, aquela suplica ? Quantes de còps...
A l'idèia d'aquela banda de pòrcs que prenián per Carnaval çò
qu'èra lo sens de la siá vida, lo Paire Blanquièr raquèt dins un
pairòl que trigossava. Puèi se levèt, prenguèt una Bíblia jol
bras e comencèt de marchar sul primièr camin que passèt.
« Lo qu'aital agís, trantalha pas jamai. »
David, 15:5
Aviái freg. La prima capitava pas a venir. La filha, alongada
sul pasiment del pont, cantonejava una melodia de breçairòla.
Demandèri :
- Anatz a Sant-Jaume, vautres tanben ?
- Ieu, òc. Ela, sabi pas. Parla pas la lenga.
- Que cercatz, mon Paire ?
- Dieu, supausi. O çò que ne demòra. E tu ?
Respondèri pas res. Nos calèrem puèi me levèri e dintrèri a la
cambra.
Jamai tornèri pas ausir parlar d'el. Lo lendeman, dins una
librariá, notèri los vèrses
del quinzen Psaume de David sus un papieròt. Mai d'un còp,
dempuèi, quand
la vida me saquegèt e quitament se crèsi totjorn pas en Dieu ni
mai a tota sa còla,
assagèri ieu tanben de trobar una responsa dins aquelas regas. »
- Papà ?
- Òc ?
- Un darrièr conselh abans de me maridar ?
- Òc. Doblides pas jamai de demorar dins l'Integritat, de far
Justícia e de dire la Vertat de ton Còr.
Texte de
de
Florant Mercadier, de Toulouse (31),
2016 |
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Le recueil de nouvelles "Coups de théâtre sur le
chemin de Compostelle" est également disponible, au prix de
9.00 €,
sur demande à
mailto:info@lecteurduval.org |
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