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"Bouche bée, elle fixe le grand orgue accroché sous la rosace :
l'un des tuyaux a bel et bien disparu !"
ou
encore :
"Tota estabosida, es a fintar l'orguena granda jos la rosassa :
coquin de sòrt, i manca un tudèl !"
-
Géant !
- Face-de-Plomb
-
Musicas d'autan
Géant !
"Bouche bée, elle fixe le grand orgue
accroché sous la rosace : l'un des tuyaux a bel et bien disparu !"
Et pas n’importe lequel ! Le plus grand. Le tuyau central. La petite
fille reste immobile pendant de longues minutes. Si elle s’attendait à
ça ! Elle écarquille bien les yeux, se pince plusieurs fois, comme le
dit et fait sa grand-mère parfois pour être certaine de ne pas rêver.
Non, elle ne rêve pas ! Il n’est plus là, par elle ne sait quel tour de
prestidigitation. Elle adore prononcer ce mot savant « prestidigitation
» qui l’aide à avoir une bonne diction. Bien mieux que le mot « magie »
! En tout cas, elle a bien du mal à imaginer quel pourrait être
l’illusionniste ou le voleur qui a osé faire disparaître le plus grand
tuyau et par quel enchantement.
L’index sur la bouche, elle réfléchit. Qui a bien pu subtiliser la tige
de la grande fleur de vitrail qui surplombe l’orgue majestueux ?
Imprévisible, impensable ! Quoique… Dieu sait si à son âge l’imagination
est fertile, alors elle a bien une petite idée…
Annabelle se rend tous les jours à l’église avant d’aller à l’école.
Juste pour prier devant la croix. Devant la statue de la Vierge. Devant
les différents saints sculptés et recueillis au pied des colonnes.
Devant la frêle lueur d’un cierge qui brûle. Ou mieux, devant les
reflets multicolores des vitraux sur le dallage et les murs sombres.
Souvent elle passe sa main dans ces rayons aux couleurs d’arc-en-ciel et
s’amuse des ombres qu’elle fait naître au milieu des taches d’aquarelle
dessinées par le premier soleil du jour. C’est magique. Elle n’est pas à
proprement croyante comme le sont certaines de ses amies. Non, juste un
désir de vouloir croire que quelqu’un exaucera son vœu. Alors, chaque
jour elle pousse le ventail de chêne épais et patiné, se réjouissant du
cri rauque et grinçant poussé par les gonds fatigués. Ce son qui annonce
sa venue quotidienne, sauf le dimanche parce qu’il y a trop de monde.
Elle se réjouit de son écho qui résonne et emplit la nef, comme si ce
bruit décuplé allait réveiller la bonne âme qui sommeille au-dessus des
bancs alignés, dans les recoins obscurs et derrière les autels et les
pierres endormies. Comme si le grincement allait tirer une oreille
attentive et bienveillante dans l’au-delà ; une oreille prête à
l’écouter.
Ce matin, après sa découverte et surtout après ses déductions, la
fillette ressort de l’église animée d’un feu intérieur, oppressant, mais
ô combien doux et excitant, comme si elle était la seule à détenir un
secret. Comme si elle était la seule à connaître la vérité. La vérité
vraie. Toute guillerette, Annabelle saute d’un bond les trois marches du
petit parvis et part en sautillant vers l’école. Vite, il faut faire
vite avant que la cloche ne sonne, et profiter de quelques minutes dans
la cour pour glisser un mot à Lucie sa meilleure amie avant de se mettre
en rang pour rentrer dans la classe. Evidemment, aujourd’hui, le
cartable est devenu bien léger.
La joie est de courte durée. Lucie n’est pas là ! Mince ! Malade
peut-être ? Je lui dirai demain pense-t-elle, ou après-demain.
A la récréation, l’attroupement des garçons sous le grand marronnier
l’intrigue. Annabelle s’approche discrètement, très discrètement. Le
plus discrètement possible parce que les garçons n’aiment pas trop la
présence des filles quand il s’agit de partager un secret. Ils sont si
agités qu’ils ne la voient même pas. Alors dans leurs dos elle tend
l’oreille, et ce qu’elle entend la ravit. Ah, elle avait raison devant
l’orgue au tuyau volatilisé ce matin ! Et elle est la seule à connaître
l’origine de cet enchantement. Enfin, de ces enchantements… Car le grand
Marcel a bien dit que l’abreuvoir à l’entrée du village était vide et
aussi sec que la terre en fin d’été après la canicule. Elle l’a bien
entendu. Les garçons parlent même d’y aller jouer à la tic ou à la
pyramide avec leurs billes en terre peinte. Alors il ne peut en être
autrement. C’est d’une criante évidence ! Un géant est venu boire toute
l’eau de l’abreuvoir. Or ce géant a bien eu besoin d’une paille à son
échelle pour siroter l’abreuvoir jusqu’à la dernière goutte ! Et où
a-t-il bien pu trouver une paille à sa taille si ce n’est sur l’orgue de
l’église ? Un géant, ce ne peut être que lui. Oui, lui ! Celui dont elle
demande la venue chaque matin.
Le tuyau d’orgue ? Une paille ! Ce n’est peut-être pas ainsi que le
voient les curé, maire et conseillers municipaux sans doute, mais
Annabelle n’en a que faire. S’ils sont contrariés, elle, par contre, est
aux anges. Le géant est de retour. Parce que son absence, ça vous laisse
un vide immense dans le cœur. Un trou béant. Aussi gigantesque que le
géant lui-même et bien plus encore ! Le cœur n’a plus alors la même
musique, un peu comme l’orgue dorénavant.
L’après-midi passe, aussi légère que la libellule qui virevolte
au-dessus d’une mare. L’esprit de la gamine vole de-ci de-là. Le menton
dans le creux de sa main, le coude appuyé sur la table, elle suit pas à
pas les pas du géant. Eût-il chaussé ses bottes de sept lieues qu’elle
l’accompagnerait partout et qu’elle irait aussi vite que lui. Les tables
de multiplication et l’orthographe sont aux antipodes de ses pensées. La
grammaire et la géographie sont le cadet de ses soucis car le géant est
là, à côté, ou pas loin. Elle le sait, elle le sent. Il se cache mais
elle le retrouvera bientôt.
De retour à la maison, elle avale son goûter en deux bouchées et se
précipite dans sa chambre. Surtout ne rien dire à sa mère ni au moindre
adulte d’ailleurs. Sous prétexte de faire ses devoirs, la fillette a
refusé de manger une troisième crêpe et s’est vite dépêchée d’oublier
dictée et poésie pour ouvrir son carnet secret et y raconter les
derniers évènements. Et surtout y écrire son histoire. Celle du géant
assoiffé. Du géant malicieux qui vient de faire une belle farce au curé,
au bedeau et à tous les paroissiens. Du géant espiègle qui lui redonne
le sourire à cause de cet emprunt original et insolite. Car son géant
n’est pas un voleur, non !
La nuit est agitée. La vision de l’homme immense se promenant dans le
village et alentours, le tuyau sur l’épaule, puis s’abreuvant au lavoir
après avoir siphonné l’abreuvoir ne la quitte pas. Pour sûr, Annabelle a
eu des frissons et s’est amusée à se faire peur. De ces peurs qui vous
excitent et vous tétanisent de plaisir. De ces peurs qui vous fascinent
et que vous essayez de dompter avec maladresse et dont vous quémandez le
doux vertige.
Le petit-déjeuner est englouti en moins de deux. Les bises de maman
claquent dans le vide tant sa fille part en coup de vent ce matin. Elle
a eu beau crier « Annabelle ! Annabelle ! », la fillette a détalé comme
un lapin.
Passage par l’église. Le tuyau est toujours absent. Cela n’intrigue plus
la petite fille. C’est sûr, le géant l’a gardé avec lui pour boire dans
tous les abreuvoirs de la région. Dans les mares des fermes, dans les
étangs et les lacs. Pour sûr, il doit attendre la nuit pour boire. Ou
bien il attend les brumes du matin pour passer inaperçu. Par contre, ce
qui l’intrigue le plus, c’est qu’aucun ne semble savoir. La vie paraît
continuer comme si de rien n’était. Aucune agitation sous les platanes
où sont réunis les vieux boulistes. Même le curé affiche son éternel
sourire. Et le maire qui plaisante avec la timide épicière. Personne au
village ne semble se soucier de l’étrange disparition. Bizarre tout de
même…
Lucie n’est pas revenue. Crotte et crotte et zut de zut ! Elle aurait
tant voulu lui confier sa découverte. Son secret : ça y est, il est là !
Depuis le temps que je prie et que j’implore pour qu’un miracle arrive !
Annabelle avait même pensé faire un trait d’esprit pour conclure son
histoire. Si Lucie avait pu être là, elle lui aurait murmuré à l’oreille
: « C’est géant, non ? »
Bon, ben ça sera pour demain.
Le lendemain, rebelote ! Même rituel. Un chocolat chaud vite avalé, deux
madeleines et les baisers de maman qui se perdent dans les cheveux qui
volent déjà. Passage à l’église. Petite pause devant l’orgue toujours
amputé de son tuyau. Une main qui fait des vagues dans le bénitier en
quittant le lieu, histoire de faire comme un clin d’œil au Bon Dieu, si
c’est bien lui qui a exaucé son souhait, pour le remercier. Cavalcade
entrecoupée de trois à cinq sauts à cloche-pied sur les dalles d’égout
comme à la marelle avant d’entrer dans l’école. Mais que fait Lucie ?
Le surlendemain est identique.
Le lendemain du surlendemain, c’est jeudi. Jeudi, il n’y a pas école,
alors Annabelle est partie jouer vers le lavoir, histoire de vérifier si
l’eau a disparu. La source alimente toujours le lavoir de son filet
clair et chantant, néanmoins il lui semble bien que le niveau a baissé
tout de même. C’est certain, le géant a bu et retournera boire à cette
source. Il a toujours bu beaucoup son géant, parce qu’il avait une soif
de géant, un point c’est tout. Annabelle sait alors qu’elle reviendra,
une nuit, pour le surprendre à cet endroit.
Vendredi, Lucie est de retour. Chouette ! Et elle, elle a aussi des
choses à raconter. Un, une vilaine angine l’a clouée au lit pendant
trois jours. Fiévreuse. Aphone. Heureusement, tisanes et cuillères de
miel l’ont guérie. Bien plus que le sirop prescrit par le docteur. Deux,
quelqu’un a volé une énorme marmite chez sa voisine. Mais pas seulement
! On lui aurait aussi volé la grosse brassée de foin de luzerne destinée
aux lapins. Quand Annabelle entend ça, son sang ne fait qu’un tour.
C’est encore un coup du géant. Elle s’empresse de raconter par le menu
ce qu’elle a vu et ce qu’elle en a déduit. Le vol de la marmite et de la
botte de foin vient confirmer qu’elle a raison une fois de plus. Son
géant fume la pipe, elle le sait. Pas besoin de se triturer les méninges
pour comprendre que la marmite bourrée jusqu’à la gueule d’herbes sèches
et embrochée sur le tuyau d’orgue s’est transformée en une gigantesque
pipe que le géant a dû fumer et savourer, allongé au pied d’un arbre en
lisière du bois des Fées à quelques kilomètres d’ici. D’ailleurs, il n’a
pas échappé à la fillette ce matin que des volutes de fumée
s’échappaient du bois. Le géant s’était trahi ! Mais pourquoi alors
tarde-t-il tant à se montrer ? Lucie, qui a réponse à tout – et c’est
bien pour cette raison qu’elle est une amie sur qui Annabelle peut
compter – lui a dit que le géant aime jouer avec Annabelle et qu’il la
teste. Il lui envoie des indices, histoire de bien lui prouver qu’il est
de retour. Effectivement dans ses souvenirs, la fillette revoit le géant
boire beaucoup puis fumer la pipe. Souvent. Son géant a toujours bu et
fumé. Elle se remémore. Elle se revoit, émerveillée devant les
arabesques aériennes et volatiles dessinées par la fumée, y cherchant
des formes d’animaux, des visages, tout comme elle le fait régulièrement
en regardant les nuages.
Des nuages, ce matin il n’y en a pas beaucoup dans le ciel tant le vent
a soufflé et rugi cette nuit. Etait-ce bien le vent d’ailleurs ?
Annabelle a reconnu la voix grave et rauque du géant hurler au-delà des
vallons et cingler sur les volets de sa chambre. Un son amplifié, parce
qu’à n’en pas douter le géant soufflait dans le tuyau d’orgue. Une
plainte. Un déchirement car il ne peut la rejoindre, a-t-elle aussitôt
imaginé.
Elle revoit ses grandes mains de géant la soulever de terre comme un
fétu de paille et entend son rire rocailleux lui fracasser les oreilles.
Il la porte à bout de bras, et elle peut presque toucher le ciel. Ses
deux grands pieds de géant sont plantés dans la boue de la cour de la
ferme, telles les racines ancrées d’un orme noueux et imposant. Il rit
de la voir rire et elle rit de le voir rire. Le géant la repose au sol
après avoir déposé un baiser sur son front. Ils sont heureux. Maman rit
avec eux. Et puis un jour elle n’a plus ri. Le géant est parti. Parti
avec d’autres comme lui. Loin au nord.
Alors depuis l’été 1914, elle se rend tous les jours à l’église pour
implorer qu’on lui rende son géant.
« Dis, si tu m’entends, fasse que mon papa revienne ! Il est géant mon
papa tu sais ! »
Si Annabelle savait combien de géants en cet été 1916 sont tombés, pieds
embourbés dans les tranchées, face contre terre à boire la glaise, le
feu et la ferraille tombés du ciel. Au front, chaque jour, les orgues
résonnaient de mélodies assourdissantes, tragiques et funestes. Il ne
fait aucun doute que tous ces géants terrifiés n’avaient qu’un seul
souhait en tête : que de pareils orgues perdent leurs sinistres tuyaux
et disparaissent à jamais.
Texte
de Emmanuel
Broc, de L'isle-Jourdain (32), 2017
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Face-de-Plomb
Bouche bée, elle fixe le grand
orgue accroché sous la rosace : l’un des tuyaux a bel et bien
disparu !
- Monsieur le curé ! Monsieur le curé !
Bérangère se précipite vers le presbytère. Elle est drôle, la
Bérangère. Quand elle passe devant l’autel en courant, avec ses
bras lancés n’importe comment par-dessus sa tête, et sa vieille
robe de calicot noir qui lui remonte au genou, on dirait une
danseuse gitane en plein flamenco. Un flamenco pas trop enlevé,
peut-être, mais à quatre-vingt deux ans, c’est déjà beau de
danser encore.
- Monsieur le curé !
Monsieur le curé paraît à la porte de ses appartements.
Bérangère lui assène la disparition qu’elle vient de constater.
Le curé est horrifié. Il se signe. Mais à l’envers, ce con. Ça,
c’est un défaut qu’il a - Bérangère l’a remarqué dès le jour où
il est arrivé. Pas que ce soit un mauvais curé, non… même s’il
est encore un peu vert… Mais il confond toujours sa gauche et sa
droite. Alors quand il se signe comme ça, dans le mauvais sens,
il y a toujours un moment où Bérangère finit par se représenter
le Christ accroché sur sa croix à l’envers, la face contre le
bois et le cul tourné vers les fidèles. Et ça, c’est le genre de
pensée qui ne doit pas être du goût du Tout Puissant.
Monsieur le curé file vers le lieu du crime. Lui, ce n’est pas
un mélomane. Il n’y connaît rien en musique, rien en
instruments. Infoutu de s’y retrouver dans cette jungle de
tuyaux qui croît sur le buffet de l’orgue, il demande à
Bérangère :
- Où est ce que ça manque, exactement ?
Bérangère lui montre l’emplacement béant. À ses yeux
d’organiste, il est aussi visible qu’une dent déchaussée dans le
sourire d’une miss. C’est moins évident pour le curé, mais il
constate, il constate, grave, responsable, une main sur la
hanche et l’autre qui lui frotte pensivement le menton. Il finit
par demander :
- Et ce tuyau qui a disparu, il correspond à quelle note, au
juste ?
- Le ré, dit Bérangère. Dans les aigus.
- Jésus Marie Joseph ! souffle le curé comme si la disparition
d’un fa ou d’un si bémol eût été moins problématique. Et vous
pourrez quand même jouer le morceau ?
- Vous ne m’écoutez pas, Monsieur le curé. Je viens de vous dire
qu’il manquait le ré aigu. Comment voulez-vous que je joue
l’Adagio d’Albinoni sans le ré aigu ? Ce serait comme de se
faire une partie de boulinge avec la moitié des quilles.
- Jésus Marie Joseph ! répète le curé en recommençant à se
signer de sa façon bizarre – et revoilà le cul du Seigneur qui
apparaît en vision à Bérangère.
Monsieur le curé retourne à l’autel. Derrière les vitraux, on
devine les premières voitures garées sur la place, et toutes ces
silhouettes noires qui attendent le corbillard.
De Jeansac, Émile, Lucien, Amédée. 1929 – 2016.
Une sommité. Un type riche à millions. Qui aurait eu les moyens
de racheter la cathédrale d’Albi, de s’y payer des funérailles
de premier ministre, et d’y convier les familles princières du
monde entier. Mais non. Émile avait ses racines. Il était né
dans le village, y avait vécu autant que possible, et c’est dans
sa petite église qu’il tenait à tirer sa révérence… C’est qu’il
l’aimait, cette église, il l’avait prouvé plus souvent qu’à son
tour. Tenez, les ravalements, par exemple… C’était lui. Le
clocher qu’on avait retapé après le grand orage de 69… encore
lui ! Et cet orgue ? Vous croyez qu’une paroisse de ce calibre
avait les moyens d’un orgue, même un tout petit comme ça ? Non !
L’orgue, c’était aussi Émile, bien sûr ! Mais gentleman, avec
ça, car il n’avait rien demandé en retour de ses faveurs,
jamais, si ce n’est que la Bérangère lui jouât l’Adagio
d’Albinoni le jour de son enterrement, sur son bel orgue. Enfin,
si la Bérangère lui survivait, bien entendu.
Merde ! ne peut s’empêcher de penser le curé. Merde parce qu’il
ne voit pas comment il pourrait rafistoler un truc aussi
compliqué que cet orgue en moins de cinq minutes. Merde parce
que la Bérangère est toujours en vie. Et merde parce que si on
additionne les deux, nous voilà bien barrés pour respecter les
dernières volontés du défunt !
- Nous allons trouver une solution, martèle-t-il comme un
mantra. Nous allons trouver une solution, et faire toute la
lumière sur cette affaire.
On est dans une église, ici, c’est-à-dire en communication
ultra-haut-débit avec le Premier Étage. Alors forcément, au
moment précis où Monsieur le curé prononce qu’il va faire toute
la lumière sur cette histoire, la lampe qui éclaire l’autel
grille son ampoule avec un grand claquement sonore. Chtac !
Pénombre ! Le curé sursaute, balance un coup de chasuble dans
tout son bazar de messe, et trois soucoupes de porcelaine qui
traînaient là finissent en miettes sur le carrelage de l’allée.
- Thérèse ! braille le curé, qui commence à avoir le sang-froid
qui tiédit. Thérèse, vite !
Aussi sec, la femme de ménage apparaît entre le curé et
Bérangère. Face-de-Plomb. C’est comme ça qu’on l’appelle, dans
le village. À cause de sa figure, qui semble toujours exprimer
la même chose – c’est-à-dire rien. Et aussi à cause de la façon
qu’elle a de se tenir, toute droite, toute raide, le manche de
son aspirateur plaqué sur l’épaule, et qui la fait ressembler à
un fantassin de l’armée napoléonienne, version jouet pour
enfants.
Le curé lui montre l’ampoule à changer, ce qu’il faut nettoyer
par terre. Thérèse n’a pas le nécessaire pour la lampe, désolée.
Mais le reste ne sera qu’une formalité. Elle branche son
aspirateur. Appuie sur le bouton « marche ». Et d’un seul coup,
voilà les volumes de la petite église qui s’emplissent d’un ré
somptueux, plein, charnu, organique… Le curé, qui est aussi
sensible à la musique qu’un journaliste l’est à la vérité, ne
remarque rien, évidemment. Mais la Bérangère, elle, est à deux
doigts de l’apoplexie. Et d’ailleurs, elle en tend un, fébrile,
vers la femme de ménage, vers son instrument de malheur.
- Le tuyau… Le ré… Il est là ! C’est elle… C’est elle qui l’a
pris !
Hagards, les yeux de Monsieur le curé effectuent l’aller retour
entre l’orgue édenté et l’aspirateur de sa Thérèse, dont le
manche lui semble soudain bien inhabituel, en effet.
- Thérèse… Est-il possible que ce soit vous qui ayez arraché le
tuyau de l’orgue ?
Thérèse ne prend pas même la peine de tourner la tête vers la
rosace ou vers le curé.
- Ah voui, voui. C’est ben possible, voui. C’est à cause du
manche, explique-t-elle en montrant son aspirateur. L’était tout
fendu, l’aspirait plus rien. Trois semaines que je vous en
parle, je vous signale. Alors jusqu’aujourd’hui, passait encore.
Mais pour les funérailles à l’Émile, fallait ben faire quelque
chose. On ne va pas l’enterrer dans la crasse, non ?
- Et vous n’avez rien trouvé de mieux pour le remplacer que… que
le tuyau ré de ce pauvre orgue ? reprend le curé. Et Bérangère,
alors ? Comment est-ce qu’elle va jouer son Adagio, maintenant
que vous lui avez cassé son orgue ?
Thérèse ne moufte pas. Elle continue de regarder droit devant
elle, le menton prognathe, la lèvre inférieure passée par-dessus
l’autre, le vide de ses yeux inexpressifs amplifié par les
culs-de-bouteille qu’elle porte sur le nez. Difficile de dire ce
qui se passe dans sa tête en cet instant. Peut-être que ce n’est
qu’une boîte creuse, avec une grosse mouche noire qui volette
là-dedans en se cognant contre les bords. Ou peut-être qu’elle
est en train de redémontrer l’équation de Schrödinger. On ne
sait pas.
Le curé essaye de réfléchir. Il a retrouvé le tuyau, bon, mais
après ? Il est incapable de le remettre à sa place : il n’a pas
la compétence, pas les outils, pas le temps. Dehors, il voit le
corbillard qui est arrivé. Déjà. On n’attend plus que lui.
- Si vous voulez, je peux faire le ré, propose alors
soudainement Thérèse, conciliante. La Bérangère joue, et chaque
fois qu’y a besoin d’un ré, c’est moi qui le fais.
Avec l’aspirateur ? Thérèse suggère qu’on joue l’Adagio
d’Albinoni à l’aspirateur ? Bérangère s’étrangle en
indignations. Le curé, lui, éprouve au contraire la sensation
que ce sont les anges qui viennent de s’exprimer par la voix de
Face-de-Plomb.
- Vous sauriez faire ? demande-t-il avec ferveur. Vous
connaissez le morceau ?
- Ah bah ça, voui alors ! Depuis le temps que je l’entends
répéter, celle-là, vous pouvez dire que ça commence à rentrer !
Le curé joint les mains.
- Thérèse, c’est le Seigneur qui vous envoie !
Bérangère, elle, ne dit pas le contraire ; mais elle a comme un
doute sur le destinataire.
- Mais enfin, Monsieur le curé ! Ça n’est pas possible ! On ne
s’improvise pas musicien comme ça ! Sait-elle seulement lire une
partition ?
- Pas la peine ! dit Thérèse. Je sais exactement ce qu’il faut
faire. J’ai l’oreille absolue, voyez-vous. Bah quoi ? Vous
pouvez me tester, si vous me croyez pas !
Bérangère lui jette un œil mauvais. Joue quelques notes au
hasard. Et la Thérèse égrène du tac-au-tac : « C’t un do… un fa
dièse… encore un do…
Exact. Exact. Encore exact.
Alors là, Bérangère n’en revient pas ! Face-de-Plomb… L’oreille
absolue… Je vous jure… Les endroits où la grâce divine peut se
nicher, parfois… Comme elle ne trouve plus rien à redire,
Bérangère enclenche la sourdine, commence à jouer l’Adagio, en
allant directement à la partie où les aigus démarrent, pour voir
ce que ça donne. Face-de-Plomb n’a pas menti : elle connaît le
morceau par cœur, comble les trous avec des coups d’aspirateur
partout où l’on a besoin d’un ré. Bérangère est sur les fesses.
Mais ça n’empêche. L’ensemble ne rend pas bien. L’aspirateur est
trop long à se mettre en marche, trop long à s’arrêter, ce qui
fait baver tous les ré de Thérèse, et l’empêche de jouer en
rythme.
- Le plus simple, ce serait encore que ce soye moi qui prenne
tous les aigus, suggère-t-elle alors. Comme qui dirait,
Bérangère ferait la basse, et moi les solos.
Monsieur le curé s’inquiète.
- Vous n’avez pas l’intention d’arracher d’autres tuyaux à notre
orgue, au moins ?
- Mais non ! le rassure Thérèse. Pas besoin ! J’ai un manche
télescopique. Regardez.
Elle remet l’aspirateur en marche. L’engin émet d’abord son ré
de base. Alors, la brosse calée sous le pied et les mains
agrippées au manche, Thérèse commence à tirer, à pousser, à
tirer, tirer encore un peu plus… À mesure qu’il rallonge ou
qu’il raccourcit, le manche de l’aspirateur produit toutes les
tonalités de la gamme. Monsieur le curé a beau ne rien y
entendre en musique, le procédé ne lui évoque pas moins un
trombone à coulisse – il n’a pas tort – et il reconnaît peu à
peu, dans les vagissements modulés de l’aspirateur de Thérèse,
le morceau que la Bérangère répète quotidiennement depuis le
jour où l’on a su que le temps du pauvre Émile était compté.
- C’est le Seigneur qui vous envoie ! répète-t-il, illuminé.
Il se signe. En triple exemplaire. Et par trois fois, Bérangère
voit les Saintes Fesses défiler sous ses yeux mi-clos.
Le cortège a pénétré dans l’église au son des premières notes de
l’Adagio – notes graves et empreintes d’une tristesse presque
effrayante. Tandis que ces messieurs des pompes funèbres
installaient le cercueil de l’Émile sur le catafalque,
l’assemblée a pris place sur les inconfortables bancs de bois.
Au début, faut reconnaître, ils étaient nombreux à se demander
ce que Face-de-Plomb foutait là, plantée comme un piquet entre
le curé et la vieille organiste, à regarder droit devant, dans
le vide, ou Dieu sait où, avec son aspirateur à la main et sa
tronche à gober les mouches. Puis elle a commencé à jouer. Des
sourcils se sont froncés, des murmures ont fusé. Mais très vite,
la curiosité l’a emporté sur l’indignation, puis la stupéfaction
sur la curiosité. Dans le fond, des garçons à queue de cheval et
à bagues têtes de mort ont réclamé :
- Plus fort !
Avec la semelle de sa pantoufle, Thérèse a tourné la molette de
puissance jusqu’au maximum. Pas encore suffisant. Alors le curé
a pris son micro, s’est agenouillé devant l’aspirateur, l’a tenu
juste au niveau de la sortie d’air. Et le son s’est
métamorphosé, changé en un genre de couinement riche, sifflant,
saturé… un truc qu’on n’avait jamais entendu… en tout cas jamais
dans une église…
Et maintenant, les gars du fond sont là à hocher la tête en
cadence, à mesure que Thérèse avance dans son solo. Ils seraient
à un concert de Motörhead ou d’Iron Maiden que ça ne ferait pas
une grosse différence.
Bérangère, elle, ne connaît pas tout ça. Elle ne connaît pas le
hard rock, pas le heavy metal, ni rien de ce qui s’ensuit. Mais
elle voit bien qu’avec la complicité de Face-de-Plomb, elle est
en train d’introduire un truc pas net dans la maison du
Seigneur. Un truc qui la remue aux tripes, lui donne envie de
grimper sur le clavier, de se détacher le chignon et d’agiter la
tête comme les gars du fond. Elle sait bien qu’elle ne devrait
pas, que c’est mal, mais c’est plus fort qu’elle. Voir les mains
de la Thérèse monter et descendre le long du manche, comme ça…
brrr… Des pensées qu’elle croyait disparues depuis longtemps
resurgissent des tréfonds de sa mémoire… Elle accélère le tempo…
On commence à en entendre qui frappent dans leurs mains… Alors
Bérangère accélère encore, et Thérèse suit le mouvement, le
regard toujours planté droit, impavide, monolithique.
Face-de-Plomb.
Lorsque le morceau se termine, Bérangère ne sait pas comment
l’expliquer, mais elle a envoyé son tabouret valdinguer à trois
mètres de l’orgue, et elle se trouve à genou, devant le clavier,
le poing brandi en l’air. L’Adagio de 8 min 56 a été expédié en
4 min 17, s’achevant sur un tempo proche des 200 bpm.
L’assistance est partagée entre réprobation sévère et sidération
la plus totale. Monsieur le curé, lui, est absolument aux anges.
Il se signe au moins cent fois d’affilée, toutes de travers.
Alors, en voyant passer ce qui lui passe sous les yeux, la
Bérangère a cette fois la certitude qu’elle vient de rayer son
nom de la liste de St Pierre, définitivement. À 82 ans, et pour
ainsi dire si près du paradis, c’est ballot. Mais après tout,
merde !
Même si cela fut un temps évoqué, Bérangère et Thérèse ne
rééditèrent jamais leur performance. L’orgue édenté de leur
petite église ayant fini par récupérer le tuyau qui lui
manquait, Face-de-Plomb se retrouva sans instrument. On chercha
bien un moyen de lui en refaire un à l’identique, mais il faut
se rendre à l’évidence : les diocèses ne sont pas légion, qui
seraient prêts à sacrifier des orgues plusieurs fois séculaires
pour qu’une octogénaire et sa complice au faciès néanderthalien
puissent profaner des lieux sacrés, en y jouant des morceaux de
Black Sabbath à l’aspirateur.
On le regretta, un petit peu, au début. Puis rétrospectivement,
on considéra que c’était aussi bien ainsi. La performance saisie
à l’enterrement de l’Émile, ce matin-là, resterait à jamais une
légende, un mythe, un jour unique dans l’Histoire, qui avait vu
s’accorder, le temps d’un adagio, la musique de Dieu et celle du
Diable. Et quoi de plus prodigieux, en définitive ? Car c’est
bien là le propre des miracles : ils ne se produisent jamais
deux fois.
Texte de
de Vincent
Struxiano, de Rambouillet (78), 2017
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Musicas d'autan
Tota estabosida, es a fintar
l'orguena granda jos la rosassa : "coquin de sòrt, i manca un
tudèl !" Atal repoteguèc l'Amelia.
Cal sapier que l'Amelia, desempuèi sa retirada, es cargada
oficiosament per la comuna d'ensajar de servar la glèisa granda
en bon estat. Mas la comuna s'apaurís, cada an manca moneda per
clavar e coma es pas la fe catolica que fa bavardejar les
elegits, es de bon comprene que la glèisa es pas prioritària e
que doncas ne patís.
L'Amelia ac sap plan pro, tot son benevolat per preservar l'esplendor
de la glèisa se fond dins le laxisme general coma votz enraucada
dins polifonia. La tafura cada maitin que mena son inspeccion,
de véser le patrimòni se ternir, s'esquiçar, se demesir chic a
chic insensiblament e de constatar que le conse e sa còla se'n
foton plan mal. E quin calvari per cambiar un lum o pedaçar un
bocin de plastre asclat ! Deu mendicar un ipotetic rendètz-vos
al conse per s'ausir dire coma cada còp : "les obrièrs comunals
son tròp acuferats, un reparator es tròp carestiu, mercés Madama
Melia de fèr pel melhor."
L'ingratitud del temps d'ara la revòlta. La vila, de son lustre
passat a gardat avuèi ediu sas pèiras vièlhas que al còr de l'estiu
toristas acalorats venon badar. Les vièlhs se’n van al cementèri,
e levat qualques Angleses qu'en cèrca de sensacions
medevialistas e assolelhadas crompan vièlhs ostals, la vilòta s'estequís.
La catedrala despassa, plan se'n cal, tot çò qu'existís de per
la contrada : un cloquièr naut de seissenta mètres, la nau larja
de vint-e-un mètres, una campana de doas tonas... Mas avuèi
malgrat que sos remirables veirals ne coloren la lutz, la glèisa
es pus qu'una bastissa tèrna, freda, sens glòria, sens arma e
gaireben sens vida. Còp èra s'i pavanavan les avesques e lor
cort, avuèi per la messa dimenjala un punhat de devòts erratics
e tristes s'i escampilhan negats dins la vastor engaumida e
grisassa de la bastissa.
E las orguenas de quaranta jòcs, las mès grandas qu'un margaire
alemand aja quilhadas en França ! Ara sonan pas mès, i a pas mès
de sòuses per n'adobar la mecanica e puèi a qué serviriá ja que
dins la parròquia degun ne sap pas mès jogar ? L'Amelia n'èra
desgostada : "e se ara le monde ne venon a panar les tudèls, se
van deslabrar aquelas orguenas, s'arroïnaràn coma carilhons sens
campanas !"
L'Amelia sortiguèc de la glèisa. Una aureta leugièra que li
semblèc d'autan li flabutegèc a las aurelhas e li despertèc l'esperit
tan preocupat per aquel tudèl. Traversèc la plaça de la
Catedrala ont trepegèc una mèrda de gos sens se n'avisar e pugèc
la carrièra de la Glèisa per ont l'autanèl s'engulhava en
vonvonant. Se coitava per arribar a l'ostal, li trigava d'avisar
son òme de l'estranha disparicion.
Son òme, que li disián Afatot, ancian totòbras de la comuna e
tanben d'endacòm mès, talament agil qu'amb una gota d'estam vos
adobava una petroleta e que vos margava mòbles estile modèrne
amb fòrapèls. Ara bricolejava pr'aquí pr'enlà, ajudava sa femna
a entreténer la glèisa, ortejava per produsir mès que ne cal
legums e fruta que ne destillava cada an les melhors aigardents
de la vila.
Arribada a l'ostal l'Amelia cridèc son òme mas degun respondèc.
Benlèu que l'autan de mès en mès tumultuós s'emportèc la votz
fòrt luènh mas se podiá tanben que l'Afatot acuferat dins son
talhièr ausès pas o volguès pas entendre. Cossí que siá la femna
insistèc pas : "Aquò rai, vau sonar la comuna."
Lèu dit, lèu fèit mas le secretariat assadolat d'èsser
desrengats còp e quilha per un fiuleton que fiuleta, li
respondèc que le responsable èra pas disponible e le conse
encara mens. Contrariada l'Amelia renoncièc pas, se figurèc que
ela aviá tota legitimitat d'adobar le tracàs ja que la comuna
assegurava pas. "Le me cal trobar aquel tudèl, siá coma siá e
mon Afatot le tornarà margar… Pr'aquò me cal trobar le panaire…
Chi pòt aver panat aquel tudèl ? Qualqu'un a qui li fasiá
mestièr… Benlèu un estamaire, ja que les tudèls son d'estam… I a
pas mès d'estamaire… Benlèu un musicaire ?"
Le tust de la fenèstra qu'una bufada d'autan tampèc li copèc sas
soscadissas, èra son òme que dintrava.
- Tampa la pòrta, macarèl ! li bramèc l'Amelia. Puèi coma èra
miègjorn s'ataulèron, muts coma un silenci de particion. Ça que
la, en tot dinnant li contèc la maitinada. Afatot l'escotèc mès
per cortesiá que per interés mas fasquèc mina de l'ajudar :
- Vai véser a la comuna.
- A la comuna se'n foton, m'an pas solament escotada.
- S'èras pas a les embaranar còp e quilha per una tripla cròcha,
benlèu que t'escotarián.
- Calha-te innocent que sabes pas çò que dises !
D'una pòta desgraciosa l'Afatot clavèc la sola discutida del
vièlh coble.
Un còp la taula plegada, la vaissela recaptada e la cosina
engranada l'Amelia decidiguèc de prene l'afèr en man, res de pus
normal quand las autoritats legalas, i comprés son òme, vòlon
pas reconéisser la trista realitat. Cal pas desbrembar que
gràcias a sos senses d'avisament, de deduccion, d'endura, d'intelligéncia
per tot dire en un mot, desembosquèc le sacripant que capvirava
les bucs per ne préner la moneda, le pèc que pissava dins le
beinitièr que del còp n'asondava, le ferrategaire que vendiá les
prègadieus, la menina qu'amb un gredon en guisa de capelet se
marcava cada pregària sul plastre tot nòu… e plan d'autres
malfasents.
"D'en primièr, se diguèc l'enquestaira, gaitem la proximitat, es
çò de mèstre per s'endralhar coma cal. Un bon musicaire comença
totjorn per la primièra nòta !" Mas ont se ten la proximitat
dins aquela vila ont tot le monde se coneis e ont las novèlas s'espandisson
tan vite coma cabussan dominòs ? "Se començavi per la Bigodí la
cofaira ? Adès me farai copar le pel malgrat que n'aja gaire
besonh. Serà un pauc carestiu cèrtas mas soi segura de cantar
amb la bona musica ; sap tot la Bigodí, a cada pel que copa
embeu una novèla !"
- Me'n vau fèr copar le pel ! cridèc a son òme que al còr de sa
prangièra, benlèu entendèc pas. Defòra, esperrecadas per l'autan
afortit, las brumas daissavan passar le solelh qu'esclairava al
luènh e d'una lutz esquèrra, la Montanha Negra que del còp
pareissiá mès pròcha.
Sens tamborin ni trompeta, butèc la pòrta de "Al Pel Que Canta",
le salon de cofadura de la Bigodí. Una campaneta tindèc. Una
corrolhada de flors e plantas verdas farcissián tota la veirina,
en aprofitant de la lutz colorada de l'estiu de la Sant Martin.
Dins un recanton, una ràdio cantava la nostalgia. D'arreu la
Bigodí sortisquèc de darrèr un ridèu ; plan apariada a sa botiga
èra de bon véser que totas doas èran a esperar la retirada.
Las doas femnas se saludèron e entreprenguèron totas las
pachacas que cal, per endralhar coma cal, una polida cofadura.
L'Amelia avoèc :
- Ai pas gaire besonh de copar, vòli simplament que m'adobetz la
mesa en plec.
- Es vertat que la vos an mancada ! li respondèc la Bigodí per
li significar son manca de fidelitat.
Una bona investigacion merita paciéncia. L'Amelia l'expèrta ac
sabiá plan que sufìs pas de bufar dins la cabreta per ne sapier
jogar. Tanben metodicament parlèc dels subjèctes que pertòcan
una copapel : la propretat dels cagadors de la vila, le fasti de
la populacion, las cagadas dels gosses sus trepadors… abans de
n'arribar a la descasença de la catedrala e de segur a la
dilapidacion de l'orguena.
Mas sus aquel darrièr punt la Bigodí demorèc evasiva, acuferada
qu'èra a frisar. Malgrat que se malfisèsse d'una falsa nòta tan
vite arribada l'Amelia gausèc l'atisar :
- E sabètz qu'an panat un tudèl ?
- Òc vai es pas possible. E que non ac sabiái pas, m'ac aprenètz.
L'Amelia n'èra a regretar per anticipacion les sòuses que lèu li
demandariá la perruquièra, pr'aquò de sièc tornèc al repic :
- Me demandi plan chi a poscut panar un daquòs atal. Auriatz pas
una idèa vos que sètz al fial de tot ?
La Bigodí s'esforcèc de se mostrar a l'unisson de çò que
considerava coma un compliment en ajustant arpègis a son jòc :
- Es benlèu un ferralhaire ?
- Ne coneguètz un de pr'aici ?
- E non ! reconeguèc la Bigodí en s'avisant qu'èra un ton tròp
bas e tanlèu d'anonçar : l'autre jorn vegèri rodar de cap a la
glèisa le Janiquet.
- Le Janiquet de Janisson ?
- Òc le que fa le musicaire, e sabi qu'a una orguena e que ne
sap jogar.
- A bon ?
- Se atal vos agrada ? demandèc la cofaira en botant un miralh
en darrèr.
- Òc va plan, l'avètz escasuda.
Frisada coma un anhelet, l'Amelia paguèc e sortiguèc, mens
contenta de sas frisetas que de son enquèsta que s'engalhava
plan ; aviá un suspècte e le mobile, mancava pas qu'a verificar
a Janisson.
Janisson es just fòra de la vila, de l'autre costat del riu,
sufís de passar le pont. I viu le Janiquet que l'estiu fa moneda
en vendent fruta e vins del Rosselhon als toristas de la mar. N'aprofita
tanben per cambiar de femna e puèi se'n torna a Janisson per fèr
musica del mens mal que pòt.
En un quart d'ora o benlèu un chic mens, l'Amelia arribava al
pont. Le solelh e l'autan creissián. Entre doas bufadas, una
flaira, barrejadís de fum, de fruta abenada e d'alcoòl pujava de
l'alambic qu'en contrabàs al bòrd del riu, per una alquimia
secrèta, expremissiá dels chucs trebols e agroloses un aigardent
capitós, lusent e als aufis subtils.
Sul pont, las ventadas d'autan de travèrs, maites còps la
cugèron desfrisar. Li desagradavan pas a ela aquelas passas
d'autan ensolelhat ; cal dire que l'autan piemontés val melhor
que le lauragués o le de Tolosa, es mens valent, mès manhac e
amanhagador e sap cantorlejar al trauc d'aurelhas avisadas las
breçairòlas de la mar nauta ont es nascut e las tralalèras de
las Corbièras qu'a traversadas.
A qualques encambadas del cap del pont, a man esquèrra, davalèc
le caminòl de grava que mena a Janisson. Le Janiquet èra a
mólzer una cabra blanquinarda que li teniá del melhor que podiá
sa novèla companha, una Russa a solide, tan granda e prima coma
blonda e que s'apelava "Galina" mès coneguda - vos'n dobtatz -
jol nom de la Polha de Janisson.
L'enquestaira s'aprochèc, les tres se saludèron plan
respectuosament e puèi per anar pas mès vite que la musica
l'Amelia se perdèc dins rasonaments :
- Veni a las novèlas, fa temps que vos voliái véser, sèm vesins
e nos coneguèm pas gaire.
Les autres dos se gaitavan estabosits e Janiquet acabèc per
díser :
- Òc ben, mas de qué volètz al just ?
- A çò que pareis que fasètz polida musica.
Aquí ja òc l'Amelia l'aviá trobat le bon tempo de la valsa que
tanplan l'òme bavard se coitèc de respondre :
- A bon e chi vos ac a dit ?
- Tota la vila ac ditz. Se me podètz fèr escotar se vos plai,
soi un pauc melomana ?
- De segur e de sièc.
La cabra desliurada se'n tornèc amb sos cabrits, la polha blonda
se carguèc de la lèit e totes caminèron cap a l'ostal. A l'encòp
de l'autan dintrèron dins una mena de passada emplenada de tot
un rambalh d'utisses de musica, pel sòl, contra las parets,
penjats al saumièr e als cabirons. Le mèstre s'acantonèc davant
un clavièr e joguèc "Coma d'acostumat" de Claudi Francés.
Malgrat que piquèsse de las mans l'Amelia èra fòrt decebuda
perque l'orguena èra… electrica.
L'enquèsta marcava mal mas coma en cas de manca cal sapier
fiular, l'Amelia insistèc :
- E ben, n'avètz un ramat d'utisses, son totis aquí ?
- Non n'ai d'autres dins la remesa a costat.
- E ben ! Pensi que'n tenètz tota la gama ! Ça que la, vos
mancariá benlèu una orguena de glèisa ?
- Que nani ! N'ai una de pichona dins la remesa mas la me cal
adobar… li manca tudèls… ne cèrqui pertot.
Alavetz l'Amelia notèc que l'òme, malgrat que fusquèsse pelràs,
se grapussejava la clòsca, semblava embaranat. Sa manòbra menada
de mans de mèstre la regaudissiá ; quin afèr trebol esclarit en
qualques oras ! Le teniá le suspècte emai benlèu le colpable.
Per pas jogar totas las mesuras a l'encòp l'Amelia quichèc pas :
- Plan mercé, tornarai lèu Monsur per véser aquela orguena
monumentala.
- Tornatz quand voldretz Madama.
Atal se daissèron mas l'Amelia en se'n revirant manquèc pas de
rasejar la vièlha forgoneta tota bonhada que le parafanga teniá
amb fial de fèrre, per ne fintar le contengut. Dedins, una
cobèrta d'un òcre fangós amagava quicòm de longarut : a solide
un tudèl d'orguena ! Tot s'endeveniá, le copable suspectat, sa
compliça russa, le mobil e l'utís de la rapina… un flagrant
delicte s'aprestava. Dins tot son èstre s'espandissiá le doç
plaser d'una satisfaccion intellectuala, un pic de dopamina de
segur.
L'autan d'adès veniá auta de tant que bufava. Tornar sul pont,
l'Amelia flairèc l'alambic. Una votz la cridèc :
- E, Amelia vèni tastar la nhòla !
Se malfisava del malparat d'una tala invitacion mas coma aviá la
charrèra davalèc cap a l'alambic.
La darrièra calfa èra a s'acabar ; per estalviar la lenha un òme
sortiá de la caudièra gròsses tisons qu'amortava en lor getant
ferratats d'aiga. L'aigardent de mès en mès aigalut arrestava de
rajar. Les tres òmes, totis apariats de bòtas verdas, cauças e
vestets blaus, trepejavan dins un barlac amolit per la pluèja e
les resquits d'aiga e de chucs divèrses.
Quand l'Amelia s'aprochèc, abans mèma de la saludar, l'un d'elis
li demandèc :
- Venes de Janisson ?
- E òc veni de Janisson.
- Se l'as vist al Janiquet ?
- E tiò que l'ai vist… emai avèm charrat. Es pas un salvatge!
- A bon ? E s'ès dintrada dedins son ostal ?
- Bessè que soi dintrada e tanplan que m'a mostrat totes sos
utisses de musica.
- S'auriás vist un clairon de coire jaune ?
- Benlèu que òc mas n'a talament de ferrategas qu'un musicaire i
trobariá pas sa bassacontra. Mas perqué me demandas aquò ?
- Perqu'a çò que pareis auriá panat le clairon del soldat del
monument dels mòrts.
Malgrat qu'aquel afèr s'endevenguèsse al pel amb la psicologia
de son suspècte e que s'engrasèsse dins la tièra de sos
panatòris coma un do a costat d'un re, l'Amelia respondèc pas.
Le destillaire emplenava una damajana estropada de vim trenat
amb aigardent pesat a 45 grads ; èra le moment o jamès de la
tastar :
- Tè Melia tasta-la, es de pruna… anem vai, fots-li un poton, me
diràs çò qué ne pensas.
- De pruna o de melon ne vòli pas, de cap de manièra, me vòles
tuar amb ton poson.
- De poson ? Amb tot çò qu'a brutlat ton òme, i a temps que
seriá mòrt e benlèu tanplan ressuscitat. L'avèm pas vist encara
ongan, de qué se passa ?
- Se pòt que tarde pas. Sabes, me n’ocupi gaire de sos afèrs.
- Li diràs que s'es per venir, que s'afane un pauc que deman
passat vau mudar.
Le solelh baissava, las ombras s'alongavan, las ventòrias de l'auta
espandissián sul país la frescor que tombava. Tanben totes s'aprestavan
a dintrar, levat le vièlh destillaire que passariá la nuèit,
coma milierats d'autras, dins sa "tutamobil", un vièlh forgon.
Le paure òme èra tant esquiçat coma son alambic, a totes dos
avián aprés les bons senses de la vida, traversèron guèrras e
ivèrns redobtables, coneguián per còr e al bèl talh totes les
terradors de Donezan duscas Lauragués, sabián tot de la nèu que
s'amolona, del tòr qu'ascla le coire, de las brumas qu'amagan le
solelh, dels rècs trebols qu'asondan…
L'Amelia fusquèc la primièra a s'escapar ; le destillaire
manquèc pas de li remembrar :
- Oblides pas de dire a ton òme que me venga véser de sièc se
vòl brutlar deman.
- Òc, i vau."
Per se parar dels bufets que li traversavan les vestits,
l'Amelia se sarrèc le mantèl, ne quilhèc le còl, saludèc le
monde e se n'anguèc cap a l'ostal. En ne durbint le portanèl la
gossa venguèc cap a ela en jaupant.
- Innocenta me reconégues pas ! Ont es le patron ? li repoteguèc
la patrona.
Tanlèu la gossa, cuga quilhada, la menèc a la remesa ont
bricolejava l'Afatot.
- Ont ès ?
Degun respondèc mas la gossa s'engulhèc demest le rambalh de
cagetas, d'utisses, d'embarrasses… cap a son patron mas l'Amelia
gausèc pas la siègue de páur de se mascarar endacòm e tornèc
bramar :
- De qué fas ? Le destillaire te vòl véser e de sièc.
- De qué me vòl ?
- Vòl sapier quora brutlas ongan.
- Brutli pas ongan.
- Jèsus serà plan la primièra annada ! Se jamès l'auta s'atuda
nevarà deman !
- Cal una debuta a tot.
- Tan melhor mas vai-li o dire de sièc !
- Òc, i vau, i a pas le fuòc a la caudièra ça que la."
Afatot sortisquèc, tampèc plan la pòrta e s'escapèc cap al pont.
L'Amelia ela se recaptèc a l'ostal mas al cap d'un momenton
ausiguèc la gossa coïnar e sortisquèc per s'avisar qu'èra
tampada dins la remesa e que le lum èra pas atudat. Per poder l'amortar
s'enfonhèc demets las ronhas e per una curiositat instinctiva n'aprofitèc
per vistalhar la caforna de son òme
Mèma qu'arribèc duscas al recanton ont adès son Afatot
bricolejava. I vegèc una maquina amb una mena de caudièra e doas
cuvas amb robinets de pertot e tanplan que ne venguèc suspiciosa
: " aparentament aquel s'aprèsta d'amagat un alambic ! A le
bogre ! Es pr'aquò que destilla pas ongan ! E m'aviá pas dit res
le sornarut ! Li vau cantar la miu cançon ieu !"
Dins son cap una novèla enquèsta se dubrissiá e per verificar,
coma se dèu, sas ipotèsas gaitèc de mès pròche. De gratipautas
vegèc dins le fogal de la caudièra tisons amortats… doncas : "-a
ja fèit una calfa". Dins le pairòl de coire i trobèc un pauc d'aiga…
doncas : "a ja ensajat de destillar." Dins la cuva i chaucha la
man : "i a pas d'aiga… doncas l'aigardent a pas encara rajat".
Ne concluguèc : le colpable es prudent, se malfisa de son
illegalitat. Vos respondi qu'aquel es pas un bufa-trompeta que
jòga le repic abans le coblet mas un brave coquin plan organizat.
"- Tè, a sapier çò que i a dins la segonda cuva ?" L'Amelia
pugèc sus un banquet e se quilhèc sus la punta dels pès per
melhor inspectar. E aquí suspresa ! Ne cugèc s'espatarrar. A l'encòp
una ventada d'auta descabestrada socatiguèc violentament le
fustatge. Alavetz las conviccions venguèron fragilitats, las
vertats de messorgas, las certituds de dobtes. D'oras d'investigacion
per pas res, una mèuca totala.
Per desbrembar o almens denegar la realitat, l'Amelia sortiguèc
d'arreu de la remesa en daissant la pòrta alandada e le lum
encara alucat. Una bufada colerosa d'auta rebatèc la pòrta, al
pet la bartavèla se torciguèc, las ralhadas ne ressautèron e la
femna fotèc un saut que li tornèc l'afrosa realitat : le tudèl
de la grandas orguenas de la granda catedrala de la granda vila,
es son òme que l'aviá panat, ressegat e soudat per n'estrefèr
una pèça d'alambic ! Se cresètz vosaus !
Texte de
Alan
Vidal, de Lesparrou (09), 2017 |
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